Prologue, pour alto seul de Gérard Grisey (1976)

Poursuivant notre parcours de la musique pour alto seul au XXe siècle, après c'est mon jardin secret... de Tristan Murail, je vous propose de nous intéresser au Prologue de Gérard Grisey, écrit la même année (1976).

Comme son nom l'indique, cette pièce forme le début d'un ensemble plus vaste, appelé Les Espaces Acoustiques, une grande structure en arche qui court sur près de deux heures et utilise des effectifs allant de l'instrument seul au grand orchestre.

Voici ce qu'écrivait Gérard Grisey à propos de son oeuvre:

Les Espaces Accoustiques m'apparaissent aujourd'hui comme un grand laboratoire où les techniques spectrales sont appliquées à diverses situations, du solo au grand orchestre. Certaines pièces ont même un aspect démonstratif, quasi didactique, comme si je m'étais appliqué, dans l'euphorie de la découverte, à faire saisir au mieux les caractéristiques du langage que j'inventais peu à peu.

Le do grave de l'alto est accordé un demi-ton plus bas (sur un si bécarre). C'est tout à fait logique car ce prologue (et même l'ensemble espaces acoustiques) est organisée autour des harmoniques naturels de mi: on explore ainsi les résonances d'un hypothétique mi grave qui serait situé une quinte et une octave plus bas que la note la plus grave de l'alto (et qui correspondrai au mi grave de la contrebasse).

Le début de la pièce, joué avec sourdine, présente un caractère libre et improvisé. On y distingue deux éléments:

  • Des arpèges ascendants, au départ centré sur les harmoniques naturels du mi, comme je l'ai déjà dit, et qui vont progressivement se déformer et gagner un registre de plus en plus aigu:
  • Un ostinato sur la corde grave, qui fait penser à des battements de coeur:

Ces éléments sont repris de manière obsessionnelle, développés et amplifiés jusqu'à parvenir à un moment de délire complet (je ne vois pas comment l'appeler autrement) où l'archet, au lieu de caresser les cordes pour les faire vibrer, les accroche et les fait grincer comme les câbles des bateau trois mâts dans un film hollywoodien:

C'est complètement psychédélique, complètement déjanté et assez réjouissant à entendre. Je me souviens d'un concert à la cité universitaire à Paris avec Gérard Caussé (le dédicataire de cette pièce, et aussi un altiste génial qui a inspiré toute une génération de jeunes virtuoses). Parvenu à peu près cet endroit, une corde s'est cassée net, ce qui a également cassé l'élan de Gérard Caussé. Avec la bonhommie et la chaleur communicative qui lui sont propre, Gérard Caussé s'est excusé, puis avec beaucoup d'humour il a émis l'hypothèse que le fantôme de l'autre Gérard (disparu en 1998) n'était certainement pas étranger à cet incident. Il était à peu près impossible de reprendre la pièce où il l'avait laissé, aussi sommes-nous passé à la suite du programme, après qu'il eût monté une corde neuve.

Heureusement pour nous l'ensemble des Espaces Acoustiques ont été enregistrés en studio pour un double disque chez Accord/Universal, un double disque qu'on peut écouter, qu'on peut même aimer et recommander à ses amis:

Voici avant de se quitter autre extrait des Espaces Acoustiques, où l'on perçoit clairement le travail qui est fait à partir des harmoniques naturel du mi grave d'un trombone (qui sert de point de départ à une pièce riche et complexe que je ne décrirai pas en détail dans ce billet):

Bientôt dans ce journal, et dans la même série: la Pavane de Philippe Hersant (1987).