Brahms par le duo Thorette-Farjot

J'avais déjà parlé de leur premier disque, consacré essentiellement à la musique française du XXIe siècle. Arnaud Thorette (altiste) et Johan Farjot (pianiste), qui ont constitué un duo en 2000, nous proposent un autre album, consacré à Brahms.

Sur deux disques, on a les deux sonates opus 120, ainsi que les deux lieder de l'opus 91 (avec la mezzo Karine Deshayes), mais aussi le trio opus 114 (avec le violoncelliste Raphaël Merlin).

Globalement c'est un enregistrement très soigné, réalisé avec autant de passion que de professionnalisme. Je ne suis pas un grand fanatique des comparaisons discographiques, mais il m'a semblé que l'enregistrement de Thorette et Farjot n'a rien à envier à celui de Yuri Bashmet et Mikhaïl Muntian, que j'ai ré-écouté pour l'occasion. Thorette et Farjot jouent ensemble depuis des années, ils forment un vrai duo et cela s'entend. La cohésion est remarquable, et lorsqu'une phrase passe d'un instrument à l'autre, c'est avec une totale continuité. Je vous propose d'écouter le début du mouvement lent de la 1e sonate, dont j'aime le caractère rêveur et les harmonies un peu suspendues (assez inhabituelles chez Brahms)

Ces sonates sont une des pierres de touche du répertoire pour alto et piano (qui n'est pas très abondant en ce qui concerne la période romantique) et elles ont été gravées par les plus grands altistes, de William Primrose à Kim Kashkashian. C'est donc un vrai défi qui demande une certaine maturité autant qu'une bonne technique.

Brahms Thorette Farjot

C'est un projet que ces deux artistes tenaient beaucoup à cœur. Lorsque j'avais avoué à Arnaud Thorette que je gardais une préférence pour la version avec clarinette de ces sonates, il s'est défendu avec énergie:

Vous savez, les sonates de Brahms sont des vraies sonates pour alto. Brahms les a transcrites lui-même (choix des tessitures, ajouts de doubles cordes, changements de notes...). S'il n'avait pas voulu qu'on puisse les jouer avec bonheur à l'alto il ne l'aurait pas fait... En tout cas c'est mon opinion sur cette question qui revient souvent et qui a même retardé la décision de réaliser ce disque car je savais que cette remarque reviendrai forcément dans le débat des critiques! Il y a la même question avec le trio en la mineur que vous trouverez sur ce disque. A mon sens, il ne faut pas chercher à comparer ces deux versions car le changement d'instrument fait que pour moi ça n'est plus la même musique.

Concernant le trio op 114 je garde un petit regret car le remplacement de la clarinette par l'alto le transforme en un trio avec piano ordinaire (un peu comme si Brahms avait écrit un quatrième trio avec piano, le violon étant remplacé par l'alto). On perd le mariage des trois timbres qu'on a dans la version piano-violoncelle-clarinette. Même si ça serait plus osé car ça n'a pas été prévu ainsi par le compositeur, remplacer le violoncelle par l'alto et conserver la clarinette dans le trio op 114 conserve davantage le charme et la spécificité cette œuvre.

Quant aux lieder de l'opus 91, ils constituent peut-être le meilleur moment de cet album. Voici le texte du premier (Rückert), évoquant la lumière du crépuscule et les sentiments qu'elle inspire

Gestillte Sehnsucht

In gold'nen Abendschein getauchet,
Wie feierlich die Wälder stehn !
In leise Stimmen der Vöglein hauchet
Des Abendwindes leises Weh'n.
Was lispeln die Winde, die Vögelein ?
Sie lispeln die Welt in Schlummer ein.

Ihr Wünsche, die ihr stets euch reget
Im Herzen sonder Rast und Ruh !
Du Sehnen, das die Brust beweget,
Wann ruhest du, wann schlummerst du ?
Beim Lispeln der Winde, der Vögelein,
Ihr sehnenden Wünsche, wann schlaft ihr ein ?

Was kommt gezogen auf Traumesflügeln ?
Was weht mich an so bang, so hold ?
Es kommt gezogen von fernen Hügeln,
Es kommt auf bebendem Sonnengold.
Wohl lispeln die Winde, die Vögelein,
Das Sehnen, das Sehnen, es schläft nicht ein.

Ach, wenn nicht mehr in gold'ne Fernen
Mein Geist auf Traumgefieder eilt,
Nicht mehr an ewig fernen Sternen
Mit sehnendem Blick mein Auge weilt;
Dann lispeln die Winde, die Vögelein
Mit meinem Sehnen mein Leben ein.

(Je ne fournis pas de traduction, vous n'aviez qu'à pas lancer des boulettes de papier mâché en cours d'Allemand seconde langue, bande de cancres !)

Le dialogue entre la voix et le plus délicat des instruments à cordes donne tout simplement des frissons. Le seul problème quand j'entends une belle mezzo, c'est que j'ai envie de l'épouser sur-le-champ. Pourtant en général ça ne se fait pas comme ça: on ne peut pas capturer ni posséder la beauté. On la contemple, c'est tout.

Dernier point avant d'aller au dodo: si vous souhaitez entendre ces sonates en concert, par les mêmes interprètes, je vous invite à consulter l'agenda d'Arnaud Thorette.

Commentaires

1. Le jeudi 10 avril 2008, 16:24 par Eric

"Le seul problème quand j'entends une belle mezzo, c'est que j'ai envie de l'épouser sur-le-champ."

S'agirait-il d'une métonymie ? L'expression "belle mezzo" se rapporte-t-elle à la voix ou à la personne ? Certes, le verbe utilisé se rapporte à la voix mais peut-être est-ce une double exigence formulée ici par l'auteur pour pouvoir s'engager ?
D'ailleurs, Karajan n'attendait-il pas de ses cantatrices ces deux qualités ?

2. Le vendredi 11 avril 2008, 12:17 par Papageno

Comme l'a dit un certain renard apprivoisé: l'essentiel est invisible pour les yeux.

3. Le dimanche 13 avril 2008, 16:07 par Lavinie

Ah! sacrilège!
Ah! les hérétiques!
Ah! mon cher trio pour clarinette profané!

(Si, on peut très bien lancer des boulettes de papier en cours d'allemand, mais alors je vous conseille quand-même d'être bilingue.)

4. Le dimanche 13 avril 2008, 23:04 par Papageno

Je dois faire partie des hérétiques et des iconoclastes alors car j'ai joué ce trio à l'alto il y a une dizaine d'années. Et je n'ai aucune circonstance atténuante, j'ajouterai même: j'y ai pris du plaisir, beaucoup de plaisir...

Quand aux cours d'allemand... hier darf man keine Papierbulette werfen ! Donnerwetter ! Das ist streng verboten ! (à crier avec le même accent que les nazis d'opérette de la Grande Vadrouille)

5. Le lundi 14 avril 2008, 12:30 par Lavinie

Pour ce que tu as fait (allusion au 1er paragraphe), je ne parle plus. Au moins jusque dans 3 minutes.

6. Le lundi 14 avril 2008, 12:43 par Lavinie

Oh punaise, il vient de m'arriver un truc trop trippant:
J'ai voulu écouter ton extrait, je clique, et là O_o ! purée, c'est du Brahms-Proko ou quoi?!?!?!
En fait, juste après j'étais allée par erreur sur mon blog photo où la musique commence toute seule. Les deux pièces ont commencé simultanément, même tempo et tout et tout.
Fazit: Brahms sur fond de pianistes du carnaval de Saint-Saëns, c'est assez étonnant et franchement pas beau.

Eh bien moi, je lançais des Papierkügelchen malgré l'interdiction. Même que c'était hyper drôle (je trouve): je faisais une caricature du prof en question, face bleue, yeux exorbités et langue pendante, je roulais du papier comme de la ficelle, que je plaçais autour du cou du dessin, et à l'autre bout de la "ficelle", une boulette de papier mâché. Ensuite on balançait ça au plafond et parfois le prof, en levant les yeux, voyait son double pendu.
:o)

7. Le mercredi 12 novembre 2008, 14:46 par Arnaud Thorette

Cher Papageno,
quelques petites nouvelles qui arriveront bientôt:
l'Ensemble Contraste (Geneviève Laurenceau - violon, Arnaud Thorette - alto, Rapahël Merlin, violoncelle et Johan Farjot, piano ) sort sont nouveau disque tango "Café 1930" le 8 janvier 2009 chez Zig Zag Territoires. Il sera en concert du 13 janvier au 7 février 2009 au Kiron Espace. Réservation FNAC si besoin.
Je t'enverrai de la musique bientôt si ça te dit...Si tu veux venir jeter une oreille tu me diras.
Sincèrement;
Arnaud