Les sonates de Beethoven par Charles Rosen

Bien que n'étant pas un collectionneur maniaque, j'ai tout de même un certain nombre de versions des sonates pour piano de Beethoven en disque, surtout pour les dernières. Parmi celles que j'écoute le plus souvent figurent le double album des cinq dernières sonates par Charles Rosen (Sony Classical).

Alors que d'autres cherchent à nous éblouir par la beauté du son, la virtuosité, l'emportement romantique, la lecture de Rosen se veut intelligible, fidèle au texte, pédagogique: classique en un mot. Ce n'est plus Beethoven par Cziffra ou Beethoven par Gould ou Beethoven par Gilels qu'on entend, mais Beethoven tout court. L'interprétation de Rosen n'est pas celle qui fait la plus forte impression au début, mais on ne se lasse pas d'y revenir.

Charles Rosen: les dernières sonates pour piano de Beethoven D'où viennent cette clarté, cette transparence ? Rosen ne s'est pas contenté de travailler des doigts: il a fouillé les brouillons, consulté les manuscrits, comparé les éditions de ces sonates. Il les a beaucoup pratiqué mais aussi enseignées. Un résumé de son approche figure dans un livre (disponible en français depuis un an, chez Gallimard): les Sonates de Beethoven - un petit guide (merci au passage à zvezdoliki qui en a fait la pub dans son blog)

Charles Rosen: les sonates pour piano de Beethoven Cet ouvrage commence par une citation de Proust destinée à rappeler l'importance du piano (et spécialement des sonates de Beethoven) dans la bonne bourgeoisie du XIXè siècle. Il est divisé en deux parties. La première énonce des principes généraux. Après de brefs rappels concernant la forme sonate (lire Le style classique du même auteur), Charles Rosen évoque les difficultés liées au tempo, au phrasé, à l'instrument, à l'usage des pédales et la façon de jouer les trilles. Afin de lever des ambiguïtés ou de prévenir des contre-sens, il n'hésite pas à remonter jusqu'aux manuscrits pour corriger certaines erreurs des éditeurs soucieux d'égaliser et parfois de raboter la notation. Il utilise également les œuvres de Haydn et Mozart pour montrer de quel tradition hérite Beethoven, et comment il l'endosse tout en la renouvelant.

La deuxième partie décrit chaque sonate, ses particularités, son lien avec les autres, en donnant quelques repères pour l'analyse et l'interprétation. Charles Rosen ne fournit pas une analyse détaillée de chaque sonate, ce qui serait fastidieux, mais il livre au lecteur les clés qui lui permettent de faire sa propre analyse.

D'une concision remarquable, enrichi par de très nombreux exemples musicaux, ce guide s'adresse avant tout à l'interprète, et par extension au mélomane prêt à passer un peu de temps à étudier les partitions. Il vient aussi avec un disque d'exemples musicaux qui contribue à la qualité pédagogique de l'ensemble: en bref ce guide contient tout ce que votre professeur de piano aurait dû vous dire lorsqu'il vous a fait travailler une sonate de Beethoven.

Bien plus que l'emportement romantique et les effets faciles, ce que recommande avant tout Rosen, c'est une sobriété, une retenue, une économie de moyens toute classique. Par exemple il engage les pianistes à jouer le début du mouvement lent de la sonate opus 106 (Hammerklavier) avec retenue, en respectant l'indication de Beethoven: una corda mezza voce. L'interprète aura bien le temps, lors des variations interminables qui suivent sur cette magnifique plainte funèbre, de déployer son talent et d'exprimer des émotions plus fortes. En somme, on peut suivre le jugement la grand-mère de Proust, citée par Rosen dans l'introduction: la vraie faute de goût, c'est d'en faire trop.

Commentaires

1. Le lundi 19 mai 2008, 20:08 par Lavinie

Oha!
Il me le faut, ce petit guide.
Une approche intellectuelle en somme? Un peu comme Brendel?