Widman, Mahler à la Philharmonie de Paris

Quel bonheur de retrouver Antoine Tamestit sur scène ! Il y a quelques années déjà nous avions signalé son tout premier disque à nos lectrices. Visiblement en grande forme, il joue le concerto pour alto de Jörg Widman qu’il a créé il y a deux ans avec l’orchestre de Paris dans cette même salle de la Philharmonie de Paris. Avec en complément de programme, la Neuvième de Gustav Mahler, excusez du peu.

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Commençons par le concerto. Le compositeur a réduit les cordes à neuf solistes (quatre violons, deux altos, trois violoncelles). Il a cependant conservé un confortable pupitre de 8 contrebasses. C’est une très bonne idée de supprimer ces masses d’instruments à cordes car leur timbre vient « bouffer » celui du soliste. Hindemith avait donné l’exemple en supprimant violons et altos dans son concerto le « Schwanendreher ». A part cela l’orchestre comporte 4 flûtes (dont une flûte basse ce qui est une très bonne idée car son ambitus est exactement celui de l’alto), 4 clarinettes sont une basse et une contrebasse (c’est grave !), les cuivres, piano, célesta, harpes, et une abondante percussion (bongos, cloches tubulaires, cymbales antiques et modernes, tam-tam, petite et grosse caisses, etc).

L’alto est réellement au centre de la composition, et aussi au centre de l’orchestre. Il se déplace en jouant, ce qui lui permet de dialoguer avec les instruments (dont un échange assez comique avec le tuba qui lui coupe la parole avec impertinence). Au début Antoine Tamestit n’a pas d’archet et utilise son alto comme un instrument de percussion, dialoguant avec les bongos. On sent que Lachenmann est passé par là. Cependant, après quelques minutes, il découvre un objet merveilleux : l’archet ! Il s’amuse à donner quelques coups en l’air qui produisent une impression terrible car les copains de la percussion juste derrière utilisent cymbales et gong pour le soutenir. Mais ce à quoi on reconnaît que c’est une musique du XXIe siècle et non du XXe c’est que Widman s’autorise ensuite à utiliser les qualités mélodiques de l’instrument (des instruments, devrais-je dire, car chaque instrument de l’orchestre est un autre soliste appelé à dialoguer avec l’alto). Sans qu’on soit dans la musique néo-tonale (Dieu merci), mais sans qu’on non plus dans la recherche passionnée de la dissonance non plus (encore merci). C’est une musique riche, subtile, vive, nourrie d’influences multiples, facétieuse par moments. Tamestit ne se contente pas de jouer : il chante à un moment, et pousse aussi une sorte de « cri primal » tout à fait réjouissant (et qui fait également une belle couverture pour le disque chez Harmonia Mundi).

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La fin du concerto, avec l’alto dans l’aigu accompagné par les cordes en sourdine, est de toute beauté. En bref, ce concerto est une belle réussite. Bien plus que le concerto pour deux altos de Mantovani que je n'avais pas trouvé passionnant bien qu’il soit sublimement joué par Antoine Tamestit et sa professeure Tabea Zimmerman.

Après un entracte, c’est un morceau de choix avec la neuvième symphonie de Gustav Mahler. Écrite à l’âge de 50 ans par un artiste qui n’avait plus rien à prouver, c’est une œuvre empreinte d’une grande nostalgie. Sans dureté pourtant, ni amertume. C’est un adieu à la vie, mais aussi une œuvre foisonnante et luxuriante de la majorité. Un peu comme Beethoven avec les monumentales Variations Diabelli pour piano, Mahler semble nous dire : donnez-moi un bout de thème, trois notes, n’importe lesquelles, et regardez tout ce que je peux en faire ! Tour à tour enjouée et malicieuse, grandiose, dramatique, intime, populaire, recueillie, cette musique contient et rassemble toutes les musiques. De façon inhabituelle mais pas illogique, le compositeur autrichien a placé un Finale énergique et tonitruant en troisième position. Ainsi le dernier mouvement est un adagio interminable, en ré bémol majeur, tonalité tendre et nostalgique par excellence. Daniele Harding et l’Ochestre de Paris nous offrent des pianissimi magnifiques suivi d’un long silence à la fin de cet Adagio. Et pour le coup c’est le public qui n’est pas tout à fait à la hauteur : alors que le plus grand nombre cède à l’hypnotisme de ces ralentis toujours plus ralentis, certains commencent à trouver le temps long et s’agitent discrètement sur leur siège, rompant la magie par de menus bruits parasites. Sur l’ensemble de la symphonie, l’orchestre de Paris nous a réjoui par le bonheur visible des musiciens à se plonger corps et âme dans ce chef-d’œuvre. Ils ne jouent pas toujours avec autant d’enthousiasme, et c’est pourquoi il ne faut pas manquer de le souligner et de les féliciter lorsque ça arrive.

Après cette très réjouissante soirée, il reste à sortir dans le froid glacial, longer le périph gris et jaune, retrouver le métro et les personnes qui dorment dehors malgré le froid… retour à la dure réalité d’un monde qui offre bien peu de place à l’art.