Fosse: un opéra dans un parking (et réciproquement)

Ouï au Centre Pompidou hier soir, Fosse, un opéra conçu par Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk (commande de l'opéra comique).

Le parking où ce spectacle est donné constitue "la base du livret", autrement dit cet opéra a été conçu spécifiquement pour s'inscrire dans cet espace. Les spectateurs peuvent déambuler librement sur cette scène singulière où les instrumentistes et les chanteurs sont disséminés au quatre coins: pianistes, violoncellistes, guitares électriques et percussions.

Comment vous résumer mes impressions ? Tout d'abord nous avons les chuchotements et bruits de pas du public, cette circulation permanente qui forme la toile de fond de n'importe quelle visite au musée. L'ensemble est plongé dans une semi-pénombre. Plusieurs voitures sont disposées, emballées dans des housses, à l'arrêt, phares allumées. A l'intérieur des véhicules, des figurants dont le visage est masqué par un tissu qui leur donne l'air fantomatique et inquiétant. Des tentures blanches et des projecteurs aux deux extrémités complètent le décor. Le parking lui-même est utilisé par les percussionnistes notamment qui vont frapper des barrières de métal, les murs de béton ou encore les gaines d'aération.

Des violoncellistes disposés au quatre coins de l'espace font entendre leurs voix ténues et fragiles. Au centre on distingue Sonia Wieder-Atherton qui tient plus ou moins le rôle de soliste. La belle musique de Franck Krawczyk sait très bien exploiter la spatialisation et créer une atmosphère angoissante et oppressante avec une remarquable économie de moyens. Tout à coup un coup de cloches tubulaires envoie un signal, et les choristes du choeur Accentus, disséminés, dissimulés parmi les spectateurs se mettent à chanter. Un moment saisissant où les émotions comprimées se libèrent d'un coup.

Le programme ne dit rien sur les textes utilisées. Des sources bien informées nous ont fait savoir que le choeur et la soprano solo chantaient en plusieurs langues, et que les femmes égrenaient des noms d'heroïnes d'opéra: Euridyce, Traviata, ...

Nonobstant le caractère parfaitement sinistre de l'ensemble de la production (assumé par les artistes, et en accord avec le lieu choisi), c'était une belle soirée, une production qui m'a touché et poussé à m'interroger. Que reste-t-il, en 2020, de notre civilisation ? Qu'avons-nous fait de notre humanité, qu'en reste-t-il en cette époque du triomphe des machines ? Cette "Fosse" qui nous fait frissonner comme une évocation de l'Hadès, n'est-ce pas nous qui l'avons creusée, collectivement ?

Ce spectacle sera redonné ce 12 janvier au soir: si vous avez du temps libre, chères lectrices, courez-y ! Et couvrez-y également car la température de de parking en ce début janvier est aussi glaciale que l'atmosphère musicale.

Commentaires

1. Le lundi 13 janvier 2020, 16:48 par poissonsdor

Merci pour ce très pertinent compte rendu; j'y ajoute une réflexion générale concernant l'absence de communion du public lui-même en raison du parcours libre et de l'absence de cadre temporel: on zappe à son envie, on repart comme on arrive sans avoir ressenti d'échange avec autrui, tout en ayant appartenu à une sorte de dense toile humaine...c'est toute notre époque de l'isolement au sein des réseaux sociaux qui est symbolisée là, avec en sus l'idée de fin de monde et de Royaume des ombres: brrr...

2. Le vendredi 17 janvier 2020, 09:16 par Papgeno

Voilà qui est très juste et bien observé ! On pourrait sans doute y ajouter la solitude des musiciens dispersés aux quatre coins de l'immense parking et qui ne constituent pas vraiment un orchestre ou un ensemble, mais plutôt une collection de solitudes faiblement connectées entre elles.