Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

Le critère principal, sinon unique, pour évaluer les compositeurs aujourd'hui est la nouveauté. Le plus beau compliment qu'on puisse leur faire est d'être innovants, audacieux. Lorsqu'on qualifie leur musique de littéralement inouïe, il faut entendre: vraiment bonne. Même chez les maîtres des siècle précédents, Strawinski, Webern ou Varèse, on salue la modernité avant tout, avec des formules oxymoriques comme une modernité qui dure ou un classique de l'avant-garde.

Au fond peu importe qu'une pièce soit extrêmement difficile à jouer, qu'elle fasse fuir la plus grande partie public par des sonorités stridentes, des dissonances appuyées, ou encore une complexité d'écriture trop grande pour offrir à l'oreille des repères clairs. Ce qui compte c'est que ça soit nouveau. Il faut avant tout obéir sans réserve à l'injonction baudelairienne; Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

Mon propos n'est pas de prendre parti pour ou contre ce mouvement. Observons quels problèmes il soulève, puis nous laisserons les lecteurs tirer leur propres conclusions.

  • D'abord la définition de ce qui est nouveau est on ne peut plus floue. Si j'écris une symphonie dans le style de Haydn ou Mozart, ce sera incontestablement une œuvre nouvelle, car l'an dernier elle n'existait pas. Mais n'importe quel musicien ou mélomane dira: ça n'est pas vraiment nouveau comme style. Où donc réside la nouveauté ? dans le style, dans les techniques d'écritures, dans les techniques instrumentales ? Ou bien simplement dans la différence de goût d'une génération par rapport à la précédente ?
  • Il existe et il a toujours existé des compositeurs passéistes. Brahms et Rachmaninov en sont des exemples fameux. Leur musique n'en est pas forcément plus mauvaise. Mozart lui-même, donc la musique est pleine d'invention, a surtout utilisé le langage et le style de son époque: il les a porté à la perfection, mais sans chercher à les révolutionner. On pourrait multiplier les exemples, mais la preuve est fait qu'une musique n'a pas besoin d'être exagérément novatrice pour être bonne.
  • Comment enseigner la nouveauté en musique ? C'est un vrai paradoxe car la nouveauté ne se décrète pas, et elle vient surtout d'élèves qui ont remis en cause l'enseignement de leurs professeurs. Les Conservatoires, comme leur nom l'indique, sont des structures fatalement très conservatrices, orientés vers la transmission des acquis plutôt que la remise en cause du système. Les classes d'écriture (harmonie, contrepoint) enseignent une langue morte, c'est entendu. Mais celles de composition libre ne sont pas nécessairement moins conservatrices. Les techniques d'écriture sérielles, qui étaient révolutionnaires dans les années 1930, ont été ensuite transformés en pure matière scolaire par des professeurs qui traquaient les doublures et les accords à consonance tonales dans les travaux de leurs élèves comme les professeurs d'harmonie font la chasse aux quintes et aux octaves parallèles. Quoi de plus ennuyeux qu'une musique sérielle stricte, correcte du point de vue formel mais sans imagination ? De ce point de vue les professeurs de composition atonale ne sont pas moins conservateurs que celui de Jean Sibelius à Berlin, un post-Brahmsien nommé Albert Becker qui répétait sans cesse: better langweile, aber im Stil (restez dans le bon style, quitte à être ennuyeux).
  • Que se passerait-il si la nouveauté consistait précisément à remettre en cause ce culte exclusif et totalitaire de la nouveauté ? A renoncer à l'absurde prétention qui consiste à forger un nouveau langage, que seuls quelques-uns peuvent revendiquer. Même les musiciens reconnus pour leur musique particulièrement innovante (Beethoven, Liszt, Messiaen) ne cherchaient pas la nouveauté pour la nouveauté. Dans ces sonates pour piano et quatuors tardifs, Beethoven cherchait une expressivité dramatique toujours plus forte, ce qui l'a poussé à transformer la forme sonate jusqu'à la rupture. Mais il ne s'était pas fixé comme projet au départ de remettre en cause le système tonal ou la forme sonate. De même pour Liszt, ardent défenseur de la nouveauté dans sa musique comme dans celle des autres, la musique nouvelle englobe celle du passé, elle en utilise tous les moyens expressifs et en cherche de nouveaux. Quant à Messiaen, il a traversé le XXe siècle comme une comète solitaire, attentif et réceptif à la musique des autres mais suivant sa propre voie, n'écoutant que ses voix intérieures, ignorant les critiques d'où qu'elles viennent (soit de journalistes le brocardant comme avant-gardiste, soit de Boulez trouvant que tout ce fa # majeur, dans les Vingt regards c'était vraiment dépassé). Seul Schönberg peut-être (et ceux qui ont adopté son approche) a inversé la démarche en plaçant la recherche formelle d'un langage et d'un système au départ de son parcours artistique. Ce qui a du sens, mais est-ce la seule manière d'écrire de la musique ?

Commentaires

1. Le dimanche 30 novembre 2008, 14:33 par Azbinebrozer

Suite à un précédent post ici j'ai retrouvé mes sources, il s'agit d'Astérix "La zizanie". Extrait du dialogue :
"Légionnaire:
_ Ô Centurion Aérobus, au péril de ma vie, je viens te faire mon rapport: l'arrière-garde a été attaquée par traîtrise et n'a cédé qu'après une lutte terrible.
Aérobus:
_ Imbécile ! L'arrière-garde n'a pas fait son travail, ce qui a transformé l'avant-garde en arrière-garde. Retourne en arriève, et EN AVANT !"

Mais relisez c'est le plus fameux traité sur la question.

2. Le mercredi 3 décembre 2008, 15:19 par Eric

Mon propos n’est pas non plus de prendre parti pour ou contre ce mouvement qui consiste à encenser la nouveauté mais il est bon, je pense, de prévenir tout abus.
Il ne faut pas également confondre un artiste innovant et audacieux de celui qui veut choquer gratuitement sans autre intérêt que de se faire connaître ou de créer un buzz comme on dirait aujourd’hui, technique marketing pas forcément très intéressante d’un point de vue culturel.
Une politique culturelle forte avec des canaux « officiels » et « institutionnels » a une consonance péjorative voire dictatoriale, tout autant à surveiller, mais elle présente l’avantage de limiter ces nouvelles techniques de médiatisation sauvages et envahissantes.
Encore une fois, la culture n’est pas un bien de consommation comme un autre (ou de consommation tout court) et certaines techniques pour la faire connaître ne sont pas forcément adaptées. Ainsi, le désengagement de l’état n’est pas forcément souhaitable.
Les canaux « officiels » dont je parlais doivent freiner les abus tout en laissant s’établir un vrai fonctionnement démocratique au sein de ces institutions, pour permettre aux artistes effectivement novateurs de percer, comme Iannis Xenakis dont vous présentez une vidéo.
Je trouve d’ailleurs les images sont tout aussi fascinantes que l’intérêt que doit avoir sa musique stochastique (si j’ai bien compris) et je donnerais bien volontiers une place aux œuvres visuelles et musicales de cet artiste (compositeur, architecte et ingénieur) au Musée national d'art moderne.

3. Le mercredi 3 décembre 2008, 22:17 par Papageno

De fait Xenakis a une pensée très visuelle, un peu trop peut-être: les glissandi de Metastatis sont presque plus intéressants à regarder sur la partition qu'à entendre.