Heinz Holliger: Souvenirs Tremaësques pour alto seul
Par Patrick Loiseleur le dimanche 30 janvier 2011, 15:09 - Répertoire - Lien permanent
Il est temps de reprendre le fil d'une série de billets consacrés à la littérature pour alto seul au XXe et XXIe siècles. Après la Sonata Variata de Nicolas Bacri, d'une facture solide mais qui regarde plutôt du côté de la tradition, voici Souvenirs Tremaesques de Heinz Holliger écrit la même année (2001).
Le titre de cette pièce est une allusion à une autre pièce pour alto seul du même compositeur, Trema, écrite au tout début des années 1980, dont je vous invite à consulter la notice IRCAM ainsi qu'à écouter un extrait en ligne sur le site musiquecontemporaine.fr. Trema est une pièce assez longue (pas loin de 14 minutes) et même athlétique, avec force tremolos et arpèges sur quatre cordes, un peu dans le même esprit que la Sequenza VI de Luciano Berio. Souvenirs Tremaesques, écrit vingt ans plus tard, est une pièce légère, enjouée, assez courte (3 minutes et demie), extrêmement réjouissante à jouer autant qu'à entendre, pour peu qu'on admette les modes de jeu exotiques (col legno, sul pont, etc) et l'atonalité comme le terrain de jeu naturel de l'alto aujourd'hui. On y trouve des allusions à Hindemith (aussi bien la sonate post-romantique op 11 no 4 que la Sonate op 25 no 1 et son célèbre prestissimo où "la beauté du son est sans importance") et à d'autres.
Cette pièce fait partie d'un cycle de pièces solistes destiné à tous les instruments de l'orchestre, qui peuvent être jouées séparément ou bien à la suite l'une de l'autre. Heinz Holliger, connu en dehors de la Suisse surtout comme hauboïste: il fut entre autres soliste au philharmonique de Berlin, créateur et dédicataire de la Sequenza de Berio et de beaucoup d'autre pièces contemporaines pour hautbois. C'est également un chef d'orchestre (je n'ai pas eu l'occasion de l'entendre mais des gens qui l'ont entendu à la baguette et en qui j'ai toute confiance m'en ont dit le plus grand bien) et un compositeur. Bien qu'il ne soit pas instrumentiste à cordes, c'est un instrumentiste accompli et cela se sent ans l'écriture: rien n'est facile à jouer dans Souvenirs Tremaesques mais tout sonne bien; Holliger a un sens du geste instrumental, une intuition très physique qui rend cette pièce exigeante, mais aussi, au risque de me répéter, très réjouissante pour l'altiste qui la joue. J'ai même grâce à cet pièce découvert certaines possibilités d'un instrument que je pratique depuis près de 30 ans et que je n'aurais peut-être pas osé intégrer à mes compositions ou improvisations, comme les harmoniques naturels au-delà du 7e ou la disparition de la distinction entre note ordinaire et harmoniques dans le suraigu.
Ayant travaillé cette pièce pour un examen au conservatoire, je vous propose d'écouter un extrait de cette version live. Elle comporte quelques gros défauts, mais avec le stress lié à l'examen ajouté au (grand) plaisir de jouer cette pièce, on y trouve une tension et une énergie assez communicatives. Et j'aime particulièrement la fin qui se dissout dans un aigu improbable (joué sur la corde de sol et non sur celle de la comme on pourrait le croire):
Commentaires
Merci pour la découverte : de la pièce d'Holliger et du site musiquecontemporaine.fr que je ne connaissais absolument pas (j'en suis extrêmement honteuse).
J'aime beaucoup l'idée d'un cycle de pièces solistes pour des instruments habituellement entendus ensembles. J'irai jeter une oreille sur les autres.
Pour la version live, les sons un peu flûtés du début sont-ils dûs au stress ou demandés par le compositeur ?
Ce qu'on entend au tout début de l'extrait c'est le jeu 'sul ponticello' c'est à dire avec la mèche de l'archet ridiculement proche du chevalet: cela a pour effet d'éliminer les fréquences les plus graves au point de rendre la hauteur de note méconnaissable, tout en ajoutant du bruit de frottement de crin. On peut doser cet effet, naturellement: les bariolages indiqués "sul ponticello" dans le mouvement lent d'Harold en Italie par exemple seront joués avec un son plus doux, plus proche du "beau son" traditionnel.
Ceux qui utilisent Spotify peuvent écouter "Trema" interprété par Geneviève Strosser : http://open.spotify.com/track/3Fn1t...
Je n'avais pas reconnu le sul ponticello.
Shame on me !!!!!
Sympa, cette pièce.
En général, Holliger c'est bien fichu, tant pour l écriture instrumentale, que pour la technique de composition.
Merci Bladsurb pour le lien ! Je ne connaissais pas cet album (qui apparemment vient de sortir sous l'excellent label aeon).
J'ai découvert Holliger compositeur dans un concert proposé par les lundis de la contemporaine sur francemusique, et franchement j'ai bien aimé, c'était bien écrit pour les interprètes (ici des choristes) et bien fichu. Mais je connaissais + Holliger hauboïste (j'ai un CD où il joue le concerto pour hautbois, 4 altos, timbales et orchestre d'Elliot Carter). Je n'ai plus qu'à le découvrir un peu plus...
Hier, dans le magazine de la contemporaine sur FranceMusique, ils ont passé le début de Trema de Holliger à l'occasion de l'invitation d'une altiste dont j'ai déjà oublié le nom (shame on me !!!! elle a sorti un disque en forme de récital avec des oeuvres contemporaines pour alto dont j'ai aussi oublié le nom, décidément...) ; c'est vraiment bien, et , techniquement, très difficile à interpréter (évidemment, allons-nous dire...) ; quelques micro-intervalles en septièmes majeures un peu plus grandes, si j'ai bien entendu...
D'ailleurs patrick, celui qui l'a interviewé lui a demandé si elle ne voulait pas d'un morceau pour quatuor d'altos... l'occasion pour toi peut-être de la contacter et d'écrire un nouveau râgâ ! (si le temps te le permet, je sais que tu es très occupé ; après tu fais ce que tu veux...)
Ah je viens de m'en rappeler en lisant le commentaire de Bladsurb... c'est bien Geneviève Strosser... le disque a l'air bien.