L'alto par Frédéric Lainé

Récemment publié par Frédéric Lainé dans collection Mnémosis Instruments chez Anne Fuzeau, un ouvrage consacré à l'alto, et intitulé comme de juste: L'alto. Un ouvrage dont les ambitions sont assez vastes puisqu'il veut parler de la lutherie, des interprètes, du répertoire soliste (concertos, sonates) et pédagogique (études, méthodes) depuis 1600 environ (date de l'apparition des premières violes à bras ou viola di braccio) à nos jours.

l_alto_frederic_laine.jpgPour ne pas se perdre dans un propos si vaste, Frédéric Lainé choisi un découpage chronologique d'abord (l'époque baroque 1600-1750, l'émergence 1750-1830, l'alto romantique 1830-1870, vers la reconnaissance 1870-1918, vers l'autonomie de 1918 à nos jours), thématique ensuite. Chaque partie qui couvre une cinquantaine de page est donc divisée en tranches consacrées à la lutherie, au répertoire pour orchestre, à la musique de chambre, aux interprètes, etc. Le tout complété par un Glossaire, une Bibliographie et un Index.

Vous l'aurez déjà compris, il s'agit là d'un ouvrage très sérieux et complet issu d'un travail documentaire approfondi. Un livre qui m'a indiscutablement permis d'apprendre des choses sur l'instrument que je pratique depuis la naissance ou presque. Depuis la mode des petits altos au XIXe siècle (qui a poussé certains luthiers à raccourcir de très beaux instruments anciens... à la scie !) jusqu'aux anecdotes croustillantes sur la vie sexuelle de Chrétien Urhan ou la commande ratée de Paganini à Berlioz (Harold en Italie), rien n'est oublié ou si peu.

Pour autant, mes réserves ne manquent pas à propos de cet ouvrage. Le découpage chronologique conduit à apporter une importance exagérée aux périodes où l'alto était considéré au mieux comme un violon de troisième classe c'est à dire en gros depuis la fin de la polyphonie à cinq voix (dont trois voix d'alto) à la façon de Lully jusqu'au début du vingtième siècle. Si j'écrivais un jour un histoire de l'alto, je survolerais rapidement les 18e et 19e siècles et consacrerais la majeure partie de l'ouvrage à l'alto de Hindemith à nos jours. Un travail déjà entamé du reste car j'ai consacré une dizaine de billets dans ce Journal à des pièces pour alto seul du 20e siècle que j'aime bien (dernier billet en date: Souvenirs trémaësques .. de Heinz Holliger). On sent chez Frédéric Lainé une certaine frustration à parler de l'alto au 18e et 19e siècles alors que cet instrument était tellement méprisé, ce que de grands musiciens et grands orchestrateurs comme Berlioz ou Wagner regrettaient, conscients du potentiel expressif de l'instrument. Mais plutôt que passer son temps à pleurnicher sur le peu de reconnaissance (et de répertoire) pour l'alto il y a 200 ans, pourquoi ne pas parler plus longuement de la gloire éclatante que lui confèrent interprètes de génie et compositeurs passionnants de nos jours ?

Une autre réserve concerne le style. Frédéric Lainé a voulu écrire un ouvrage de référence, pas un roman. On comprend donc que le propos en soit moins libre et le style moins outré que par exemple D. Hildebrand dans son roman du piano. Mais le plaisir à lire Hildebrand tient justement au fait que c'est écrit par un mélomane qui se fiche comme une guigne d'être exhaustif dans la chronologie ou précis dans les références, mais cherche uniquement à communiquer sa passion pour un instrument, quitte à en explorer les recoins obscurs et à user fréquemment du sarcasme pour en épuiser la substance. Le style de F. Lainé est clair et fluide, mais il manque singulièrement de fantaisie et souvent d'humour. Concernant l'histoire de l'alto qui est véritablement le vilain petit canard de la famille des cordes, on aurait préféré endurer quelques couacs que de s'endormir toutes les dix pages, malgré la richesse du contenu. De l'audace !

Dernier point, on peut très bien défendre le fait qu'un ouvrage de ce type n'a pas vocation à être lu de la première à la dernière page comme un roman, mais plutôt conservé dans la bibliothèque et consulté de temps à autre; mais dans ce cas adopter un autre plan aurait été plus judicieux. Pourquoi ne pas dresser par exemple des tableaux récapitulatifs avec toutes les sonates pour alto et piano, tous les concertos, toutes les études, etc ? Et pourquoi ne pas traiter de sujets comme la place de l'alto dans l'orchestre symphonique dans une seule chapitre plutôt que dans 6 sous-chapitres de chaque chapitre chronologique ? Et de même pour l'évolution de la pédagogie ? On comprend bien l'intention de l'auteur de vouloir traiter tous ces sujets simultanément pour saisir l'évolution de l'alto sous tous ses aspects; mais n'ayant pas su choisir entre un récit chronologique, qui exige une plume assez solide et une certaine liberté dans l'agencement des sujets, et une présentation exhaustive, sous forme de tableaux ou de dictionnaire, Frédéric Lainé a tenté une forme hybride qui s'avère peu efficace alors même que le fond est assez riche. C'est pour cette dernière raison que Le Journal de Papageno recommande ce bouquin, bien qu'il  ne le lise pas comme un roman et qu'on ne s'y retrouve pas aussi facilement que dans un guide ou un dictionnaire.