Un Faust diablement bourgeois

Avec un peu de retard, je publie un compte-rendu de la première de Faust à l'opéra Bastille le 2 mars dernier. Ayant eu le plaisir de participer à une production de cet opéra en 2002 (dans la fosse d'orchestre, à l'alto) c'est une partition que je connais assez bien et que je retrouvais avec grand plaisir (et avec l'ami Nicolas qui a l'époque tenait la position de violon solo à l'orchestre Ut Cinquième).

L'ouverture me frappe par la mollesse des attaques et le manque de contrastes dynamiques. Est-ce les musiciens de l'opéra qui n'ont pas envie de faire du zèle ce soir-là, ou Michel Plasson qui n'a pas envie de les stimuler ? Toujours est-il que le résultat manque singulièrement de force dramatique. 

Du décor grandiose représentant la bibliothèque du docteur Faust (et qui sera recyclé avec plus ou moins de succès dans tous les actes), j'apprendrai plus tard qu'il a été fabriqué pour une précédente production en 2011, dont cette nouvelle mise en scène est en quelque sorte la version 2.0, réalisé par l'assitant de la première production. Il y a de belles choses dans cette mise en scène de Jean-Romain Vesperini, et rien qui se trouve en porte-à-faux avec l'argument. A en croise les costumes, l'histoire a été transposée dans les années 1920 ou 1930, sans que j'arrive à comprendre ce que ça apporte de plus.

En redécouvrant le livret de ce Faust créé en 1859, je suis frappé au contraire par la façon dont il véhicule les valeurs de la bourgeoisie du Second Empire, si bien décrites (et décriées) par Zola dans les Rougon-Macquart. Méphisto propose au Dr Faust tout ce qu'on peut obtenir en ce bas monde: richesse, pouvoir, etc. Mais loin de vouloir conquérir la Mandchourie ou devenir plus riche de Rotschild, que désire Faust ? Simplement une amourette avec la chaste et sage Marguerite, qu'il dévergonde, et puis engrosse, et puis abandonne. C'est d'ailleurs le seul crime qu'il commet. 

Bien évidemment, à l'aune des moeurs contemporaines qui s'apparentent davantage aux Harmonies polygames rêvées par Charles Fourier (le Fourier des phalanstères, pas celui de la transformée de Fourier) qu'à celle de l'Angleterre Victorienne, on a bien du mal à s'en émouvoir. Ou même à comprendre les raisons qui poussent Marguerite desespérée à tuer son enfant. De nos jours, personne n'aurait l'idée de regarder Marguerite de travers ni de l'affubler de vilains noms comme "fille-mère". Elle irait voir un JAF pour coller une pension alimentaire et un droit de visite un-week-end-sur-deux à Faust, et elle formerait une famille recomposée avec Siebel. Lequel aurait subi quelques opérations chirurgicales afin d'affirmer sans complexe sa féminité et se battrait avec le soutien d'une association LGBT afin de pouvoir adopter l'enfant de Marguerite. Quand à Méphisto, passé de l'artisannat à l'industrie, il aurait investi l'or des bijoux dans le capital d'un site de rencontres extra-conjugales...

Revenons à la musique. Au fur et à mesure que la soirée s'écoule, l'orchestre semble retrouver des couleurs, jusqu'à un très beau finale. Les choeurs, qui jouent un grand rôle dans Faust, sont vraiment très bien. Les solistes ne déméritent pas, à commencer par le Faust de Piotr Beczala, rôle exigeant s'il en est. Et puis, le plaisir de cet opéra reste tout de même qu'on enchaîne les airs qui sont devenus des "tubes" du chant lyrique, à commencer par l'Air des bijoux bien sûr, que tous les lecteurs de Tintin connaissant bien, et que le capitaine Haddock craint plus que tout. Mais aussi Le veau d'or, Salut, demeure chaste et pure, Gloire immortelle de nos aïeux, Faites-lui mes aveux, etc. Autant de mélodies qui ont marqué leur époque et sont passées dans l'oreille collective. 

Le caractère assez wagnérien de cet opéra, composé après Lohengrin mais avant Tristan, m'apparaît plus clairement aujourd'hui. La séparation entre les numéros, la distinction entre airs et récitatifs  s'estompe jusqu'à disparaître. Et certains motifs sont associés à des personnages ou à des idées (Faust, Marguerite mais aussi l'amour, la mort, la rédemption) et réutilisés tout au long de l'opéra. Cela étant dit, il faut bien reconnaître que l'orchestre de Gounod n'a pas la richesse et la profondeur de celui de Wagner. Ce qui n'a nullement empêché ce Faust de rester un classique indétrônable de l'opéra en langue française, aux côtés d'une poignée d'autres comme la Carmen de Bizet.

En sortant j'ai gardé l'impression d'avoir assisté à un beau spectacle d'opéra, bien écrit, bien chanté, bien joué, bien mis en scène, sans le petit plus qui fait toute la différence. Sans le frisson qui nous ferait vibrer avec les jeunes amants, croire à l'enfer et désirer ardemment la rédemption de la pauvre Marguerite. Ce Faust diablement bourgeois n'empêchera personne de dormir.

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