Boulez et Dusapin sur YouTube

Trouvé aujourd'hui deux vidéos sur YouTube:

  1. Pierre Boulez dirige l'ensemble inter-contemporain jouant Sur Incises pour pianos, harpes et percussions
  2. Pascal Dusapin tourne les pages de Ian Pace jouant son étude numéro 4, une Toccata tachycardiaque pour piano 

Il y a plusieurs points communs entre Boulez et Dusapin:
  • ce sont des compositeurs officiels, connus et reconnus, accumulant les titres et les fonctions prestigieuses.
  • leur musique passe parfois sur France Musiques, très rarement sur Radio Classique et jamais sur les autres radios
  • ils écrivent de la musique savante (très savante)
  • ce sont des gens sérieux (très sérieux): regardez le visage froid et crispé qu'ils affichent l'un comme l'autre sur les vidéos
Est-ce de la musique tellement savante et complexe qu'elle finit à ne plus ressembler à rien, c'est à dire que l'oreille n'arrive pas vraiment à capter un fil directeur ? Pour s'en assurer, je vous propose un test indépendant de toute référence musicologique, le test du copier-coller. Ce test consiste à supprimer ou à déplacer une section de 30 secondes prise au hasard dans le morceau. Une telle opération est très facile à réaliser avec un logiciel comme Audacity. Si l'opération ne produit pas de différence notable à l'oreille, cela signifie:
  • soit qu'il n'y a aucun fil conducteur
  • soit que ce fil conducteur n'est pas aisément identifiable à l'oreille, ce qui revient au même. Si la musique n'est pas faite pour l'oreille, pour quoi est-elle faite ?
Faites le test avec un pièce de Dusapin puis avec un mouvement de n'importe quelle sonate de Beethoven, et vous comprendrez ce que je veux dire. Notez que je n'ai fourni aucun jugement positif ou négatif sur la musique de Boulez et Dusapin: je vous laisse, chers lecteurs de ce journal, vous faire une opinion par vous-même, et jouer avec le test du copier-coller qui donne parfois des choses très amusantes.
 
Mise à jour février 2011: je ne sais plus trop si c'était le cas il y a 4 ans, mais j'apprécie aujourd'hui beaucoup ces deux pièces font sans nul doute partie de ce qu'il y a de meilleur de la littérature récente pour piano. Il n'en reste pas moins que la question de la forme (et de la manière dont cette forme se présente à l'auditeur, non au compositeur qui sait toujours ce qu'il fait) reste posée. Celle de la complexité aussi. Avec des formes plus libres et plus ouvertes que la forme Sonate par exemple, avec une musique souvent trop complexe pour qu'on puisse appréhender et mémoriser les détails en direct, est-il toujours possible de créer un sentiment de nécessité qui fait que chaque passage est bien à sa place et ne pourrait être déplacé sans qu'on s'en rende compte ?

Commentaires

1. Le vendredi 19 octobre 2007, 16:10 par esther

Votre conseil est très bon.
Hélas, lire ce conseil suffit pour savoir qu'on ne trouvera aucun fil directeur autre que cette idée qui a dû assaillir minute après minute le compositeur au travail : "je suis très original et je vais surprendre les gens".
Tant qu'à faire d'écouter de la musique composée au XXème siècle, je préfère Ennio Morricone.
Merci pour votre "blog".

Esther

2. Le vendredi 19 octobre 2007, 19:52 par Patrick

Mais il y a des gens qui aiment la musique de Boulez, et précisément parce qu'on peut "s'y perdre, s'y noyer". Lisez par exemple le commentaire d'Araki sur musicareaction:

www.musicareaction.com/?p...

Quant à la musique de film (et de jeux vidéos) j'espère revenir sur le sujet plus longuement dans ce blog.

Merci de votre petit mot !

3. Le vendredi 19 octobre 2007, 21:02 par esther

Je ne peux pas me noyer dans des bains trop cérébraux, mais le commentaire d'Araki est effectivement intéressant.
J'espère vous lire un jour sur la musique de film.
Et je regrette d'avoir médit sur la musique du XXème siècle, j'avais oublié Sibélius, Rizzetti, Valo, Ljus, Grieg...
Bonne soirée,

Esther

4. Le vendredi 19 octobre 2007, 23:06 par Patrick

Grieg est mort en 1907 (on a très peu fêté le centenaire d'ailleurs), c'est plutôt un homme du XIXè siècle.

Au XXè siècle, je citerai Martinu, Janacek, Messiaen, Schostakovitch, Hindemith, Bloch parmi ceux que j'aime vraiment. Mais il y en a une bonne centaine d'autres qui sont - au minimum - à découvrir.

5. Le vendredi 19 octobre 2007, 23:50 par Eric

Je vous trouve dur avec Boulez et Dusapin. Moi, mais je ne veux pas faire le malin, j'y trouve une certaine musicalité à ces deux extraits.
Peut-être avez-vous une approche trop analytique de cette musique (que vous n'arrivez pas à analyser/comprendre ?) et pas assez émotionnelle, ou peut-être est-ce parce que je suis informaticien que j'apprécie (toute proportion gardée) cette musique qui sonne un peu aléatoire. :-)
Merci également pour ce blog.

6. Le samedi 20 octobre 2007, 13:40 par Patrick

Cher Eric, vous avez parfaitemet le droit d'aimer leur musique! J'ai volontairement évité de formuler un jugement dans mon billet pour laisser chacun se faire une idée. Si vous tenez absolument à avoir mon opinion, je trouve que l'étude de Dusapin est pas mal, mais elle ne vaut pas les Toccatas de Prokofiev ou Debussy ou encore l'Escalier du diable de Ligeti.

Sans doute avez-vous raison: mon approche essentiellement analytique de la musique (je décompose tout ce que j'écoute) est peut-être un obstacle pour me permettre d'apprécier certains morceaux. D'autant plus que le principe de base de la musique "atonale" est de priver l'oreille de ses répères habituels. Comme vous le dites si bien, cela sonne "aléatoire".

Des morceaux comme le Sacre du Printemps de Strawinski ou encore la Turangalila-symphonie de Messiaen sont très complexes et on ne peut pas les analyser en temps réel: pourtant à l'écoute on perçoit une direction, un mouvement, des lignes de force, un discours. C'est précisément ce qui manque à mon sens dans les deux pièces ci-dessus. Et l'autre chose qui manque à Boulez et Dusapin, c'est le sens de l'humour. Leur musique est de bonne facture et pleine d'invention, mais elle manque cruellement de légereté.

7. Le lundi 5 novembre 2007, 23:08 par Azbinebrozer

Voilà je tombe sur votre article en cherchant un lien sur Dusapin et Janacek. Je vous invite à venir lire le post que j'ai déposé plus qu'aléatoirement ;- ) sur
www.lesinrocks.com/index....
Oui Ok la musique de Dusapin n'a pas d'humour mais elle n'a rien d'aléatoire elle est particulièrement avec ces études obsessionnellement fragile. Elle tourne amoureusement autour des mêmes motifs et en vacille. Elle cherche des bribes d'humanités dans des motifs de l'intonation de la voix. Pour lire la particularité du bruit qui s'installe sur la 4ème étude il faut hihi se farcir la montée obsessionnelle des 3 1ères. La 6 est un déluge et la 7 un affaissement.
Lisez plutôt ce texte
www.editions-mf.com/spip....
on y parle de la filiation qu'il y a entre Janacek, Varèse et Dusapin trois compositeurs qui m'électrisent, me touche non pas sentimentalement mais sensiblement jusqu'à l'hystérie parfois je l'avoue.
La musique de Boulez ici n'est plus diffusée. J'avoue ne rien avoir écouté depuis longtemps. Elle respirait parfois l'intelligence mais quand je me rappelle les propos de Boulez sur l'art trop primitif de certains... je crois qu'il y a chez ces 3 compositeurs une violence que n'assume pas Boulez.

8. Le lundi 5 novembre 2007, 23:37 par Azbinebrozer

Ok cette fois j'ai pu écouter et comparer avec Boulez.
Perso je suis un tel fan de cette oeuvre de Dusapin que le test Audacity n'est pas pour moi.
Deuxio, la musique de Boulez ne respire pas l'humour mais elle est "joueuse". Ok un jeu vain et triste si vous voulez, mais rien avoir avec le sérieux obsessionnelle allez soyons carré "romantique" d'un Dusapin, Janacek (romantisme sensible et non sentimental). Ecoutez l'étude n°6 !...
Enfin, la musique de Boulez est cultivée, riche, française quoi. La musique de Dusapin est ici dépouillé de fait. Lorsqu'elle est plus étoffée c'est pour être sensuelle. Mais sinon comme celle de Janacek elle ne craint pas d'être frustre ! Rock'n'roll quoi ! ;- )

9. Le mardi 6 novembre 2007, 00:16 par Patrick

Azbinebrozer, merci de votre longue et passionante contribution au débat ! Le son est tellement mauvais sur YouTube que ça me ferait de la peine de découvrir toutes les études de Dusapin de cette façon: je me procurerai un CD à l'occasion.

J'ai par contre bien écouté le trio avec piano du même Dusapin et j'ai du mal à y trouver un quelconque romantisme. C'est une très bonne version (et aussi la seule disponible à vrai dire, chez Triton) mais cette musique m'a laissé de glace. Elle m'a fait un peu le même effet que la musique de Berio: une virtuosité sans but précis qui agace l'oreille mais ne fournit pas une nourriture consistante à l'esprit.

Mais je suis par ailleurs un grand fan de Janacek (les Opéras, les quatuors, et tout le reste), donc si vous me dites que vous adorez Dusapin je vais peut-être perséverer...

10. Le mardi 6 novembre 2007, 10:17 par Azbinebrozer

Dusapin je ne suis pas un fan intégral et puis j'y vais doucement. Tout ça est beau mais très difficile à vivre !
Je vous conseille Requiem(s) toujours très très minimaliste pendant un bon bout de temps et puis s'étoffant. Austère très triste mais très sensuel.
Plus doux les concertos pour trombone, flute et je sais plus quel instrument sont très beaux.
Je ne connais pas le trio. Concernant le "romantisme" de Dusapin je suis un peu court (et pressé ! ;- ) on en reparle plus tard ! La musique de Dusapin, et c'est peut-être sa limite est fragile, plus que celle de Janacek. Ecoutez le parler et regardez le dans le CD partie vidéo.
Je n'arrive pas à laisser mon mail...
Amicalement.

11. Le samedi 19 janvier 2008, 15:47 par lavoux

genial, je vous remerci beaucoup pour ces Patrick, ivdeos :-)