Pourquoi écrire de la musique ?

Une question posée par Jean-Marc Legrand: pourquoi écrire de la musique ? Sujet que j'ai déjà abordé ici et .

J'ai presque envie de répondre: pourquoi pas ? et de refermer le billet. En effet rien n'est plus naturel que la création artistique: si on place un môme de 5 ans devant un piano, il commencera aussitôt à improviser, à écouter, à essayer des choses. Quand on couche les idées sur le papier, qu'on essaie de les structurer, bien sûr il y a un certain travail mais au départ, rien n'est plus naturel et plus simple que l'improvisation et la création musicale.

Voici donc la raison numéro 1: se faire plaisir ! avouons que ça n'est pas négligeable.

Raison numéro 2: faire plaisir aux autres. Partager la musique qu'on écrit avec d'autres musiciens, avec le public est un grand bonheur, et là encore un bonheur tout simple et naturel.

Raison numéro 3: la nécessité. Comme mon professeur de composition le fait parfois remarquer, en définitive s'il n'y avait pas de compositeurs les interprètes n'auraient rien à jouer. C'est d'une logique imparable, et il n'y a rien à ajouter.

Mézalors me direz-vous, quelles raisons aurait-on de ne pas écrire de la musique, ou d'hésiter à en écrire ? J'en vois plusieurs:

  • L'éducation: beaucoup de musiciens classiques sont écrasés par deux choses: d'une part l'enseignement qu'ils ont reçu et qui consiste à reproduire la partition, toute la partition, rien que la partition
  • Les complexes: Les partitions qu'on trouve en magasin sont souvent l'oeuvre de grands maîtres parvenus à leur pleine maturité. Elles ont quelque chose d'écrasant. Ces textes pourraient presque nous faire oublier que ces grands maîtres ont écrit aussi des brouillons et des oeuvres mineures, que certains d'entre eux ont attendu de nombreuses années avant de trouver leur style (Bruckner ou Franck par exemple).
  • La difficulté: de nombreuses heures de travail solitaire attendent celui qui veut écrire de la musique. Et le résultat de ce travail est souvent décevant, surtout au début.
  • Le style: Doit-on imiter les musiciens qu'on admire ou chercher à s'en distinguer ? Faut-il obligatoirement introduire une dose suffisante de dissonances pour que ça sonne musique contemporaine ? Un dilemme que Jean-Marc Legrand résumait en écrivant du joli déjà fait, ou du moche tout nouveau ?

Pour l'éducation et les complexes, à part un psy, je ne sais que vous recommander. Pour la difficulté, si l'on veut jouer correctement du violon, c'est tout aussi ingrat ! Il faut déterminer quels objectifs on a et quels moyens on est disposé à mettre en face. Quant au style, le mieux est de suivre son instinct musical. Nous sommes tous différents: certains musiciens sont doués pour la mélodie, d'autres pour le rythme ou la couleur, pour le contrepoint... on peut toujours progresser ou évoluer, mais il faut commencer par la musique qu'on aime. Aimer la musique, n'est-ce pas l'essentiel ?

Dernière objection, le répertoire existant est si vaste qu'une vie ne suffit pas à le parcourir entièrement. Dans ces conditions, pourquoi vouloir en rajouter ? Plusieurs réponses. D'abord le répertoire n'est pas si étendu. Demandez aux altistes, aux musiciens qui font du quintette à vents ou du quatuor de trombones ! Ensuite, c'est la nature de l'esprit humain de ne pas se contenter de ce qui a déjà été fait (Montaigne désignait cette qualité comme la générosité de l'esprit). Si Mendelssohn et Schumann avaient baissé les bras, écrasés par le modèle beethovénien, ils n'auraient pas écrit de Symphonies ni de Quatuors. Avouons que ça nous manquerait un peu tout de même !

Pour finir je pense que tout musicien devrait écrire au moins un peu de musique. On ne devrait pas donner de 1er prix de Conservatoire à un instrumentiste qui n'aurait pas présenté devant le jury une pièce de sa composition. Le saussiçonnage scolaire des disciplines (instrument, analyse, composition, improvisation) est une chose extrêmement néfaste, qui fabrique d'un côté des interprètes sans profondeur et sans imagination, de l'autre des théoriciens et des compositeurs ayant perdu le lien avec leur instrument et avec le public. Un musicien accompli est quelqu'un qui sait lire et écrire la musique. Ni plus ni moins.