Arriaga et Parra par le quatuor Tana

Ouï le 17 avril dernier à l'auditorium du Louvre, le qautuor Tana dans un programme tout espagnol: Juan Crisotomos Arriaga, Hèctor Parra, Joaquim Turina et Astor Piazzola (mais oui chères lectrices, vous savez fort bien que Piazzola était Argentin et non Espagonl, quelle culture que la vôtre ! fermons la parenthèse). C'est toujours un grand plaisir de revoir les Tana sur scène, et c'est la première fois que je les entendais depuis qu'ils ont changé de second violon. Il semble que la greffe a bien pris, Pieter Jansen partage l'énergie et l'enthousiasme déboardants de ses partenaires. 

On commence par le premier quatuor d'Arriaga. Dans sa monumentale histoire du quatuor en trois volumes, Bernard Fournier le traite un peu au-dessus de la jambe: 

Arriaga (1806-1826) prématurément arraché à la vie peu après la composition à Paris de trois quatuors de style néo-classique avant la lettre qui témoignent à la fois d'une assimilation de la technique des classiques viennnois (c'est à dire Haydn et Mozart, note de Papageno) et d'un grand talent de mélodiste, tout en étant portés par un véritable souffle créateur.

Ce n'est pas faux, mais c'est un peu court ! Manifester à 20 ans une telle maîtrise dans un genre réputé austère et difficile entre tous, ce n'est pas à la portée de tout le monde. Autant le reconnaître franchement, tous les quauors de Mozart ne sont pas aussi inspirés, aussi limpides, aussi enjoués, aussi gracieux dans le maniement polyphonique des quatres voix, que cette oeuvre de jeunesse d'un compositeur qui n'aura jamais été vieux.

Les Tana qui semblent décidément à l'aise dans tous les styles nous livrent une belle version toute en délicatesse de ce premier quatuor en ré mineur d'Arriaga, qu'ils font chanter naturellement et avec une joie quasi enfantine. Et quelle beau finale, pianissimo, sur la pointe des pieds !

Ensuite vient la création du 3e quatuor d'Hèctor Parra, lequel vient sur scène nous parler de ses sources d'inspiration:

  • Un tableau de Velazquez, la légende d'Arachné, auquel les Espagnols tiennent tellement qu'ils n'ont pas voulu le prêter pour l'expo au Grand Palais.
  • Les araignées et leurs qualités de tisseuses. Ainsi les différents types de soie d'araignée (épais et collant pour piéger les proies, lisse pour la structure de la toile) ont inspiré différents types de son, flûté ou bien écrasé... et le compositeur nous parle bien sûr des araignées dites musiciennes qui écoutent les les vibrations de leur toile avec leurs pattes pour repérer les proies bien plus sûrement qu'avec leurs yeux.

On ne peut pas faire davantage plaisir aux musiciens du quatuor Tana qu'en leur proposant un mode de jeu exotique qu'ils n'ont pas encore testé, ce qui est une gageure en soi: après le papier d'aluminium sur le chevalet, les plectres, les archets "guiro" au bois crénelé, les voici qui ont testé avec Hèctor Parra une cinquième corde, dont une extrémité est attachée au chevalet et l'autre tenue par la main gauche tandis qu'on la joue avec l'archet.

Là où l'on reconnaît le grand métier d'Hèctor Parra c'est qu'il arrive fort bien à intégrer ces sons exotiques et réjouissants mais un peu limités dans une riche texture à quatre voix qui fait également appel aux ressources nobles du quatuor à cordes. L'énergie sauvage des Tana fait merveille et on se laisse emporter par cette monstruosité arachnéenne, on sent monter en soi la folie d'un animal doté de huit pattes, vingt cordes et mille yeux (ceux du public), qui nous emmène d'un seul souffle jusqu'à une conclusion virtuose qui n'économise pas les crins des quatre archet. J'espère que les Tana ont une carte de fidélité chez leur archetier car je ne ne les ai jamais vu terminer un concert sans casser une dizaine de crins chacun.

Quoi de plus communicatif que l'enthousiasme ? Celui des Tana réussit fort bien à faire adhérer un public à une oeuvre magistrale mais d'une esthétique radicale et sans concessions. Une fois de plus je vois se confirmer mon intuition selon laquelle le public de ce début de XXIe siècle est tout à fait prêt à accueillir favorablement des oeuvres audacieuses et pas du tout néo-tonales ou néo-classiques. Les plus grandes résistances que les compositeurs rencontrent ne sont pas dans le public, mais chez les musiciens et les organisateurs de concerts qui préfèrent les valeurs sûres aux risques mais aussi aux joies de la création contemporaine.

Ayant dû écourter la soirée, je n'ai pas pu entendre la seconde partie de ce beau récital. Mais j'ai hâte d'entendre les Tana à nouveau, et peut-être d'avoir l'opportunité de travailler avec eux un jour.

Mise à jour le 29 avril: on peut ré-écouter ce concert sur France Musique.