Clémence de Grandval: Trios avec Piano (Festival Rosa Bonheur)

Ce récital de musique de chambre offert par Alexandre Pascal (violon), Héloïse Luzzati (violoncelle) et Laurianne Corneille (piano) fut un pur moment de bonheur dans le château du même nom. Le premier d'entre eux étant la (re)découverte d'une compositrice fort injustement oubliée  : Clémence de Grandval.

Elle a écrit des opéras, de la musique religieuse et symphonique, de la musique de chambre… fort célèbre en son temps, respectée et vantée par Camille Saint-Saëns et tant d’autres, elle est tombée aujourd’hui dans un oubli quasi complet. Si vous croyez, chères lectrices, que le jugement de la postérité est équitable et n’a sélectionné que les plus belles œuvres et les meilleurs artistes au fil du temps, vous vous trompez lourdement. Il existe de véritables bijoux qui dorment encore dans les tiroirs (et parfois sont perdus à tout jamais), tandis que des nanars sans goût ni vertu continuent à jouir d’une inexplicable popularité.

Lorsqu’on sait qu’il a fallu 120 ans pour que l’opéra de Paris se décide enfin à programmer le sublime opéra Le Roi Arthus d’Ernest Chausson (qui n’est pourtant pas n’importe qui !), on ne peut que deviner le nombre d’œuvres magnifiques qui ne sont pas programmées simplement par paresse, conformisme, manque d’audace et de curiosité. Par ailleurs, quand on voit le niveau de sexisme qui persiste encore en 2020 dans le milieu pourtant feutré et policé de la musique dite "classique", on ne peut pas s'étonner que certaines musiciennes aient été invisibilisés comme l'ont été des scientifiques ou des autrices.

Heureusement certains musiciens vont éplucher les archives, fouiner dans les bibliothèques et les brocantes, toujours à l’affût de la perle rare. C'est le cas d'Héloïse Luzzati qui nous explique avec un enthousiasme communicatif sa découverte récente de la musique de Clémence de Grandval.

On commence avec deux pièces de la maturité: Andante et Intermezzo pour piano, violon, violoncelle (1890). L'écriture est classique, et en cela proche de Saint-Saëns, avec des carrures par 4 mesues, un plan tonal clair et lisible, des proportions équilibrées. Les harmonies sont raffinées, avec des couleurs presques fauréennes par moments. Tout en respectant le moule classique, c'est plein d'invention mélodique, de fantaisie, d'énergie rythmique. 

Ensuite ce sont deux pièces (Romance et Gavotte, 1884) écrites à l'origine pour hautbois, violoncelle et piano, où l'on retrouve les mêmes qualités d'écriture (et ça sonne fort bien avec un violon à la place du hautbois, même si on perd bien sûr cette couleur bien spécifique qui fait tout le charme de l'instrument). On pourrait rapprocher ce trio de celui que Brahms a écrit pour clarinette, violoncelle et piano (opus 114).

Et puis trois pièces pour violoncelle et piano (1882), là encore de facture robuste et pleines d'invention. Ce qui s'en rapprocherait le plus serait peut-être les sonates de Beethoven. En tout cas, l'écriture de Grandval est sans aucune mièvrerie, bien loin des stéréotypes. Ensuite une Musette pour violon et piano qui saute et virevolte.

Pour terminer, une oeuvre de jeunesse, le 2e grand Trio (1853) en quatre mouvements. On y sent l'enthousiasme et la fougue de la jeunesse (elle avait 19 ans !), chaque mouvement se termine sur une triomphante coda comme si c'était le Finale. Il y a quelques longueurs et répétitions aussi, mais les oeuvres de jeunesse de Brahms souffrent du même défaut. Là encore ce qui me frappe, après avoir regardé la partition c'est la solidité de l'écriture et le respect des formes classiques. Laquelle est très bien servi par trois grands chambristes qui défendent cette musique avec passion, et nous offrent une interprétation de référence qu'on espère ré-entendre prochainement, et pourquoi pas en disque ?

Clémence de Grandval a écrit des opéras, des mélodies, beaucoup de choses qui ne sont pas éditées, pas enregistrées: c'est tout un travail qui devrait être fait pour exhumer ces oeuvres dormantes, mais qui méritent amplement leur place au milieu de Lalo, Chabrier, Saint-Saëns, Chausson et Franck. Le public ne s'y est pas trompé, en acclamant la re-création de ces pièces rares et en réclamant deux bis à Laurianne Corneille, Héloïse Luzzati et Alexandre Pascal. On en redemande !