Olivier Greif: Chants de l'âme - Lettres de Westerbork

Dans la musique qu'on entend, au concert, en disque, à la radio, certains morceaux glissent sur nous, ils s'oublient aussi vite qu'il s'écoutent. D'autres laissent en nous des impressions profondes, des cicatrices semblables à celles d'une morsure, qui ne disparaîtront jamais vraiment. Les chants de l'âme d'Olivier Greif appartiennent à la deuxième catégorie.

Je les ai découverts dans l'enregistrement réalisé en 1996 à la création de l'oeœuvre par Jennifer Smith (soprano) avec le compositeur au piano, et publié par Triton. Ces neuf mélodies ont été écrites sur des textes de poètes élisabéthains (George Herbert, John Donne, Henry King, Thomas Carew, Henry Vaughan), mais aussi de William Blake, dont les sujets récurrents sont la mort, l'immensité de Dieu et le néant tragique de notre existence. Sujets également récurrents dans toute l'oeuvre de Greif.

Véritablement conçues comme un cycle, à l'instar des Poèmes pour Mi de Messiaen, l'unité très forte de ces pièces vient de l'utilisation de matériaux thématiques et harmoniques communs, mais aussi d'une construction en arche, ou le nombre 3 joue un rôle prépondérant. Comme le note Grégoire Hetzel dans la notice, plus que de notre époque, la musique de Greif est de tous les siècles. Des éléments de langage de tous les styles et toutes les époques (du chant grégorien à la valse) sont intégrés en un discours cohérent et très personnel, qui nous paraît à la fois familier et étranger, grâce à un usage parfaitement contrôlé des dissonances et des ruptures rythmiques. Le piano dialogue avec la ligne vocale (et avec le texte) davantage qu'il ne l'accompagne, ce qui fait qu'en dépit de la puissance et de la violence qu'il dégage parfois, il ne la recouvre jamais.

Jacques L'Oiseleur des Longchamps (bayton), proche d'Olivier Greif, créateur de sa première symphonie, m'a dit que ces 45 minutes sont très éprouvantes physiquement et musicalement pour le chanteur. De fait, elles le sont aussi pour l'auditeur ! Après avoir entendu ces Chants de l'Âme, lorsque résonnent les cloches qui ouvrent et referment le cycle, un long silence est nécessaire pour se remettre du choc émotionnel, pour intérioriser tous les messages reçus.

Ce disque commence par un cycle plus court, les Lettres de Westerbork. Chacune de ces trois pièces commencent par la lecture de lettres d'Etty Hillesum (une juive hollandaise qui fut déportée à Auschwitz en 1943), écrites depuis le camp de Westerbork. Elles se poursuivent avec des psaumes chantés en anglais. L'accompagnement, réalisés par deux violons seulement, sans basse est d'une intensité expressive proprement incroyable. Je vous propose d'écouter un extrait de la première pièce, L'arrivée (Doris Lamprechecht, mezzo, Alexis Galpérine et Eric Crambes, violons):