Présences 2015 à la Maison de la Radio

Entendu le 6 février dernier, dans le nouvel auditorium de la Maison de la Radio à Paris, le concert d'ouverture du festival Présences 2015 dédié aux deux Amériques. Quelques mots d'abord sur cet Auditorium qui remplace l'ex Studio Olivier Messiaen. Imaginez un grand cylindre dont la base fait une vingtaine de mètres de diamètre. Le premier niveau est consacré au deux tiers pour la vaste scène qui peut accueillir facilement une centaine de musiciens, et pour un tiers aux spectateurs. Ensuite, sur trois niveaux, des spectateurs sur trois grands balcons qui font le tour complet. Le grand avantage de cette architecture est la proximité avec les musiciens ainsi que la possibilité de voir le chef d'orchestre de face, ce que personnellement j'apprécie beaucoup. 

Par ailleurs l'acoustique me paraît très claire et bien définie, on distingue très bien chaque instrument sans que l'ensemble souffre d'une sécheresse excessive. A cause des multiples réverbérations sans doute, il peut être difficile de localiser la source d'un son, mais ce léger manque de précision spatiale ne serait un problème que pour les oeuvres orchestrales qui utilisent explicitement la spatialisation du son, qui sont fort peu nombreuses même dans la musique contemporaine.

Au menu, nous avions une pièce n°2 pour petit orchestre (1986) de Colon Nancarrow, où les musiciens du Philharmonique de Radio France démontrent qu'ils pourraient fort bien faire le même travail que ceux de l'inter-contemporain, avec la même précision et le même enthousiasme. Cette pièce me fait penser à Strawinsky (à Pulcinella par exemple) peut-être par le côté faussement néo-tonal. Comme toutes les pièces de Nancarrow que je connais, elle est d'une très grande densité polyphonique alliée à une certaine vélocité, ce qui réjouit l'oreille tout en la fatiguant quelque peu.

Vient ensuite le Concerto Sacra de Richard Dubugnon pour hautbois et orchestre. C'est vraiment la bonne surprise de la soirée. Basée sur des motifs de chant grégorien, ce concerto est intensément lyrique et mélodique sans jamais regarder du côté néo-tonal pour autant. L'orchestration très fine utilise toutes les ressources des instruments (et en particulier du hautbois) en évitant le côté "catalogue d'effets" qu'on trouve parfois chez des musiciens moins inspirés. Un seull exemple: les multiphoniques de hautois solo qui ouvrent le concerto, avec des résonnances de cloches tubulaires: cela sonne, tout simplement. Saluons au passage la belle performance d'Olivier Doise que les difficultés techniques redoutables ne semblent jamais empêcher de chanter librement.

Le concerto suivant, pour violoncelle, par l'argentin Esteban Benzecry, me convainc beaucoup moins. Bien que Gautier Capuçon l'interprète avec beaucoup de fougue, je m'y ennuie d'un bout à l'autre. Je n'y entends que des formules toutes faites et pas très inspirées, de longs passages doublés à la sixte par exemple dans la partie soliste, des progressions assez prévisibles qui ne créent pas franchement d'émotion. Je n'en dirai pas plus car je préfère parler de ce que j'aime: disons simplement que je n'ai pas trop accroché.

L'Espacio Ritual de Darwino Aquino qui suit m'emballe beaucoup plus, on y trouve une énergie sauvage qui n'est pas sans évoquer le Sacre du Printemps.

Pour la dernière pièce d'Evencio Castellanos (qui au Vénézuela ce que Jean Sibelius est à la Finlande, l'orgueil de toute une nation), le trompettiste solo a revêtu une couverture colorée de mariachi qui annonce clairement la couleur. Cette joyeuse fanfare plein de vie, d'énergie et de couleurs conclut de joyeuse façon ce beau concert inaugural dirigé par le maestro Manuel Lopez-Gomez.

Quelques jours après ce beau programme, je lis une interview de Jacques Attali sur le site Cordes et Âmes qui qualifie de "terrorisme muscial" la musique atonale. Vraiment ? Le millier de spectateurs qui assistait à ce beau concert de musique principalement atonale n'avait pas l'air terrorisés, même pas un peu effrayés à vrai dire. Ils avaient même l'air tout à fait ravis d'écouter tant de belle musique bien jouée. Il est décevant de trouver des propos aussi réducteurs et négatifs dans la bouche d'un homme par ailleurs si brillant et dont j'avais beaucoup aimé le livre Bruits. De grâce, monsieur Attali, personne ne vous oblige à écouter les styles de musique que vous n'aimez pas; ne vous sentez pas obligé de coller de si vilaines étiquettes sur les artistes ! Qu'y a-t-il de commun vraiment entre un compositeur dont l'activité est de créer de la musique et un fou furieux qui débarque avec un kalachnikov pour faire un carton plein dans une salle de rédaction ?