Le Roi Arthus de Chausson bientôt à l'Opéra de Paris

Plus de cent ans après sa création à Bruxelles, l'unique opéra d'Ernest Chausson fait enfin son entrée à l'opéra de Paris. Il était temps ! Les Parisiens pourront enfin découvrir ce Tristan à la française, qui narre les amours contrariées (et adultérines) de Lancelot et Guenièvre. Je vous en dirai plus dans un prochain billet, car j'aurais le plaisir d'assister à cet évènement. En attendant je vous invite à écouter cette interview de Roberto Alagna sur le site de l'Opéra de Paris qui nous dit que l'orchestre est un personnage à part entière, et que la voix n'est qu'une des composantes d'une riche texture.

Bien qu'il s'en défende, l'écriture de Chausson reste assez proche de Wagner, au moins sur le plan technique. La polyphonie (chaque voix se veut une ligne mélodique), le chromatisme avec des modulations incroyables et des changements de couleur magnifiques, le romantisme exacerbé, le développement d'un petit nombre de motifs simples, tout cela est assez wagnérien. Mais la musique de Chausson possède aussi par instants une grâce, une élégance, une légèreté fort peu germaniques, et elle semble annoncer l'impressionnisme.

Relire la biographie d'Ernest Chausson pourra consoler plus d'un compositeur vivant: en effet il se plaignait déjà dans les années quatre-vingt (1880, s'entend) du conservatisme du public et des musiciens, et de l'extrême difficulté qu'il y avait à faire jouer sa musique lorsqu'on possède l'inconvénient majeur de ne pas être mort il y a 50 ans ou plus. Ça ne s'est pas amélioré depuis, c'est le moins qu'on puisse dire ! Le Roi Arthus est la parfaite illustration de ces difficultés, car Chausson qui a passé sept années à travaillé sur cet opéra est mort avant de l'avoir entendu.

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À quoi sert-il de passer l'essentiel et le meilleur de son temps à écrire un opéra qu'on n'entendra même pas ? La réponse se trouve dans une lettre de Chausson que j'ai piquée dans l'excellente biographie de Jean Gallois chez Fayard:

En dehors des grands hommes il y a les milliers de petites fourmis qui piochent ingragement et suent consciencieusement; ce qu'elles font n'a pas grande portée; cela ne change rien et pourtant elle ne peuvent faire autre chose. Pourquoi diable suis-je une de ces bêtes-là ? [...] Je vois clairement en m'observant tout ce que je tiens des autres et je conclus qu'il n'y a pas une parcelle, dans tout ce que je puisse faire, qui soit tout à fait à moi, rien qu'à moi. De là à se demander s'il ne vaudrait pas mieux ne rien faire, il n'y a qu'un pas. Mais c'est justement là que mon manque de logique apparaît [...] Je sais très bien que je puis arriver un jour ou l'autre à écrire une oeuvre musicale intéressante pour quelques esprits curieux, mais entre cela et une œuvre d'art véritable il y a un monde. Comment se fait-il donc que je ne puisse m'empêcher d'écrire ? Je l'ai essayé; je ne puis pas, il y a alors en moi comme une fonction organique qui ne s'accomplit pas; je deviens tout à fait insupportable. Ce qu'il y a de plus bizarre c'est que, malgré tout ce que je viens de dire sur la perception de l'œuvre d'art et le découragement où je suis de n'y pouvoir jamais parvenir, je travaille comme si, à ce moment, je pensais tout à fait différemment. Mais une fois l'entrain passé, je rage de voir combien ce que je fais est si loin de ce que je voudrais faire, de ce qu'il me semble que j'entends dans ma tête. Et le lendemain je retravaille tout de même.

Illustration: Dante Gabriel Rossetti: Lancelot et Guenièvre sur la tombe du roi Arthur (1855)