Autour du piano, Concert-hommage à Olivier Greif

Le 21 mai 2015 à Paris, le Conservatoire de la rue de Madrid où il a été étudiant (devenu entretemps CRR de Paris) accueillait un très beau concert-hommage à Olivier Greif, intitulé Autour du piano. Ce compositeur disparu en 2000 était également un excellent pianiste, et bien que terriblement exigeante, son écriture pour piano dénote une connaissance intime de l'instrument. Je crois me souvenir d'une interview où il déclarait avec humour que le pianiste en lui devait maudire le compositeur qui lui donnait tant de fil à retordre !

Tout d'abord nous entendons Aline Piboule dans la Sonate de Guerre pour piano (1975), oeuvre d'un jeune homme de 25 ans qui a déjà complètement trouvé son style. Tout comme la sonate Hammerklavier de Beethoven ou la Sonate en Si de Liszt, elle exige un engagement total de l'interprète qui est mis à rude épreuve, tandis que les oreilles du public ne sont pas davantage épargnées que les marteaux du Bösendorfer. Mais c'est peut-être le mouvement lent, avec son infinie tristesse, qui m'a le plus touché. Il y a des éléments de musique tonale chez Greif, et bon nombre de citations, mais ils sont impitoyablement passés à la moulinette, écrasés par une sorte de nécessité impérieuse et irrésistible qui nous emporte vers l'abîme. Dans le programme Aline Piboule explique avoir été fascinée par l'interprétation de cette sonate par Pascal Amoyel (qui fut un ami du compositeur et défend beaucoup sa musique) et l'avoir par la suite ajouté à son répertoire, ce qui lui valut un prix Olivier des Greif on ne peut plus mérité. Elle écrit dans les notes de programme:

C'est une épreuve, mais l'œuvre est d'une telle intensité qu'elle vaut toutes les remises en question. Alors oui, je suis submergée par l'évidence de cette musique, forte de ce qu'elle m'apporte et heureuse des liens humains qu'elle a le pouvoir de créer.

Ensuite Géraldine Dutroncy interprète Les Plaisis de Chérence, écrits 20 ans plus tard (1997), et hantés par l'idée de la mort. Ainsi le projet initial du compositeur d'écrire un aimable divertissement à la française n'a pas résisté longtemps. La répétition obsessionnelle et angoissante de motifs apparemment inoffensifs, et l'empilement successif des strates du contrepoint, et des dissonances nées de ces superpositions, nous conduit là encore au bord de la folie et du désespoir (j'invite nos lecteurs à écouter cette version du Carillon de Chérence à titre d'exemple). On y retrouve également des éléments idiomatique de l'écriture de Greif comme les sons de cloches. Pleine d'énergie sauvage autant que de sensibilité, la version de Géraldine Dutroncy fait honneur à ce cycle et ne laisse personne indifférent.

Après une pause bien nécessaire pour se remettre de ces émotions, c'est l'ensemble Olivier Greif de Groningen qui nous propose le Trio pour piano, violon et violoncelle. Bien que connaissant cette pièce, je ne peux m'empêcher de sursauter lorsque la pianiste Victoria Dmitrieva attaque une série de vigoureux cluster des avant-bras qui finiront d'aplatir complètement les feutres dex marteaux (la plupart des pianistes ont tendance à édulcorer un peu ces clusters comme dans cette version). Ces jeuenes interprètes jouent vraiment chaque note comme si leur vie en dépendait, et le résultat sonore et émotionnel est à la hauteur de cet engagement. Mise à part le début de la Java, peut-être, qui apporte un bref répit, la couleur sombre de ce De Profundis instrumental ne se dément pas d'un bout à l'autre. La quasi totalité des matériaux mélodiques sont basés sur un motif de quatre notes qui est celui des initiales de Dmitri Schostakovitch (Ré - Mi bémol - Do - Si) ce qui n'est pas sans m'amuser car je me souviens d'avoir moi-même commis un Trio avec piano il y a quelques années dont les quatre mouvements étaient précisément basés sur ce même motif.

Le concert se termine avec le Tombeau de Ravel à quatre mains, par Géraldine Dutroncy et Fuminori Tanada (pianiste entre autres à l'ensemble itinéraire). D'une certaine douceur élégiaque au début, cette pièce évolue vers un contrepoint démentiel et virtuose, comme une machine à 20 doigts destinée à anéantir le peu de joie ou d'espoir qui pourrait nous rester encore au fond de l'âme à la fin d'un tel concert. Malgré ce bombardement émotionnel, ou peut-être à cause de lui, c e sont des aplaudissements nourris et sincères qui viennent saluer la belle performance des six artistes qui ont tout donné ce soir-là. 

Il me faut conclure ce billet en saluant le travail formidable de l'association Olivier Greif et de Patricia Aubertin qui nous donnent l'occasion de vivre de vrais instants privilégiés. L'œuvre d'Olivier Greif possède une grande force et des qualités évidentes: restée confidentielle de son vivant, elle commence à séduire des artistes de ma génération, qui n'ont pas connu le compositeur mais sont manifestement prêts à lui donner la place qui lui revient. Tremblez, mélomanes, pauvre mortels ! La musique de Greif viendra bientôt vous secouer jusqu'au tréfonds de l'âme.