Tour à Tour de Philippe Hurel à la maison de la Radio

Entendu le 5 juin dernier dans le très bel auditorium de la Maison de la Radio à Paris, Tour à Tour de Philippe Hurel, ambitieuse partition symphonique de 60 minutes présentée dans le cadre du festival Manifeste de l'IRCAM.

J'au eu le grand plaisir d'y retrouver, de façon fortuite, Julien Leroy, chef d'orchestre, qui travaille actuellement avec l'ensemble intercontemporain entre autres (nous l'avions entendu aux Bouffes du Nord récemment). Il m'apprend que l'an prochain il dirigera le Philharmonique de Radio France pour le festival Présences, et nous tombons vite d'accord: quel magnifique orchestre, dont les virtuoses se dédient corps et âme à la musique de tous les styles avec un sérieux et une abnégation dignes des meilleurs orchestres allemands.

Quant à la monumentale composition de Philippe Hurel, Tour à Tour, j'en retire des impressions mitigées. Elle me donne la sensation que le style sériel, après le temps des pionniers (Schoenberg, Webern) puis l'âge classique dans les années 1950-1960 (Boulez, Berio, Carter), est entré dans son âge baroque où l'overdose de raffinement annonce sa fin prochaine. On pourrait résumer ainsi ses principales caractéristiques à l'oreille:

  • rythmiquement, un alternance de mouvements très rapides et de notes tenues très longues
  • harmoniquement, pas ou peu d'accords où d'arpèges qui évoqueraient la musique tonale
  • une grande attention portée au timbre et au techniques instrumentales
  • des contrastes de dynamique abrupts (fortissimo / pianissimo)
  • pas ou peu de place pour la voix
  • pas de lignes mélodiques simples qu'on pourrait mémoriser ou chanter facilement
  • l'émancipation de la dissonnance, 

Nos lectrices ont bien noté que je ne mentionne pas la technique dodécaphonique, et c'est à dessein: Schoenberg lui-même ne l'a pas employé dans ses premières oeuvres atonales comme le Pierrot lunaire ou Erwartung, et ses successeurs ont bien vite cherché d'autres techniques d'écriture sérielles, comme les grammaires musicales génératives de Philippe Manoury. 

Il est sans doute injuste de parler en quelques mots d'une partition énorme, qui fourmille de détails et a certainement demandé des mois de travail à son auteur (sans compter la bande-son additionnelle du second mouvement concoctée à l'IRCAM). Philippe Hurel est de toute évidence un musicien qui sait écrire et qui sait orchestrer. Mais je ne pouvais me départir de l'impression que le filon mis au jour par Schoenberg avec sa Symphonie de Chambre il y un siècle (en 1913 pour être précis) est maintenant épuisé: qu'il s'est montré excessivement passionnant et fertile tout au long du XXe siècle mais qu'il appartien désormais aux épigones, et qu'il est maintenant temps de se tourner vers autre chose. La bande magnétique diffusée en même temps que l'orchestre, comme une sorte de soliste robotique dialoguant avec lui, c'était amusant à l'époque des premiers magnétophones, à l'époque où Varèse présentait Déserts au public parisien médusé et furieux, ça sonne un peu daté aujourd'hui. On s'agace même un peu de voir les musiciens immobiles, attendant sagement la fin d'une séquence pré-enregistrée. La musique n'est-elle pas l'art du mouvement, de l'interaction, de la danse ? 

Autre chose me direz-vous mais quoi ? L'électronique qui retravaille en temps réel le son me paraît une piste plus prometteuse. C'est d'ailleurs un domaine où la musique populaire a pris une considérable avance sur la musique savante. Même s'ils n'ont jamais pris de leçons de contrepoint ou d'orchestration, les musiciens d'un groupe de hard rock en connaissent au fond bien plus sur l'art de travailler les sons avec les outils électroniques et informatiques que la plupart des compositeurs issus du conservatoire, même ceux qui ont complété leur formation à l'IRCAM. Tout simplement parceque les musiciens rock font ça tous les jours avec leurs petits doigts, leur approche est instrumentale avant d'être intellectuelle. (Il y a des exceptions naturellement: je pense par exemple à la passionnante Partita de Manoury pour alto et électronique qui intègre vraiment bien un outil électronique bien maîtrisé et l'écriture instrumentale).

Quoi d'autre ? Peut-être le retour de la voix au centre de la scène ? L'invention de nouveaux instruments électro-acoustiques ? Le retour à une forme de simplicité et de dépouillement, sans tomber pour autant dans le néo-tonal bête et méchant ? La réunification des rôles entre compositeur et interprète ? De nouvelles formes de création collectives et participatives, mettant à mal le mythe du créateur génial dans sa tour d'ivoire ? Une dose d'improvisation dirigée ? La réutilisation des musiques existantes passées à la moulinette, remixées, filtrées, superposées, détournées, réinterprétées ? La fin de l'orchestre symphonique traditionnel dont Stockhausen trouvait à juste titre que c'est un réservoir de sonorités trop fermé ?

Si j'étais occupé à méditer sur ces questions générales, c'est que, vous vous en doutez, la pièce de Philippe Hurel n'a pas su capter toute mon attention de bout en bout, malgré l'excellente opinion que j'ai de lui basée sur d'autres pièces. Le premier mouvement m'a paru de bonne facture mais sans grande originalité. Il alterne les moments assez linéaires (avec un seul instrument ou un accord tenu) et les moments très rapides qui mobilisent tous les pupitres, les cordes divisées, les percussion, toutes les ressources de l'orchestre avec une telle densité d'évènements qu'on ne perçoit que des effets de masse, un peu comme dans les Solos de Dusapin. Dans le deuxième mouvement, l'interaction entre l'orchestre et l'électronique ne m'a pas tellement emballé. Le troisième mouvement est sans doute celui qui m'a le plus séduit, avec des couleurs spectrales qui pouvaient faire penser à Grisey par moments.