Violoncello da spalla, viola da spalla

La famille du violon est peut-être plus étendue qu'on ne le croirait de prime abord. À côté des formats standards et bien définis (violon, alto, violoncelle, contrebasse), on trouve en fait de nombreuses tentatives de formats différents, créés par des instrumentistes curieux et des luthiers motivés. Ainsi l'Arpeggione, avec six cordes comme une guitare (mi, la ré, sol, si, mi), célèbre à cause de la très belle sonate que Schubert écrivit pour elle. Peu de temps après avoir découvert L'Oiselon, une sorte de violon colorature imaginé par Mathieu Godefroy (j'y reviendrai dans ce journal), voici que je tombe sur cette vidéo de l'altiste Serguei Malov. Il joue en virtuose accompli la sixième suite de Bach sur un Violoncello da spalla, c'est à dire un petit violoncelle qui se joue peu ou prou comme un alto, bien qu'il soit beaucoup plus imposant (spalla signifie épaule en italien, pour ceux qui en douteraient encore après avoir vu les images)

La différence principale est que l'instrument est posé sur l'épaule droite et maintenu avec une courroie. Et bien sûr le son est différent: il ne ressemble ni à celui d'un alto ni à celui d'un violoncelle, c'est une voix, un timbre spécifique. Et c'est bien là tout le but de l'opération ! Accessoirement l'insintrument joué par Serguei Malov possède cinq cordes, dont une corde de mi une quinte au-dessus du "la" du violoncelle. C'est bien sûr idéal pour jouer cette sixième suite de Bach qui a été écrite pour un instrument à cinq cordes, avec des cordes à vide et des accords qui rendent son exécution très malpratique sur un violoncelle ordinaire. Cet instrument m'a fait un peu penser à l'alto à cinq cordes de Pierre-Henri Xuereb (équipé lui aussi d'un "mi" aigu), mais il sonne une octave plus bas. 

Ce Violoncello da spalla (également appelé Viola da spalla) était en usage il y a trois siècles, et il avait complètement disparu depuis. Vivaldi lui a dédié un concerto (que Sigiswarld Kuijken a récemment ressuscité). Le problème qui peut expliquer le peu de succès de cet instrument est sa taille: trop petit pour sonner comme un vrai violoncelle (les sons graves manquent de puissance et on un timbre un peu pincé), il est beaucoup trop grand pour être joué de façon confortable. Beaucoup d'altistes ont des problèmes de dos et autres TMS liés à la taille et au poids de leur instrument. Je n'ose imaginer ce que ça serait avec un instrument de ce gabarit. Et ne parlons même pas de l'aspect visuel. Essayez d'maginez André Rieu, avec son smoking impeccable, son sourire ultra-brite, sa chevelure romantique, tenant entre les bras un tel bateau-lavoir. Ça manquerait un peu de glamour, n'est-ce pas ?

Blagues à part, la naissance ou la renaissance d'un cousin du violon est une belle aventure, et représente des mois de travail. Côté luthier, je vous invite à lire le bel article de Dimitri Badiarov sur le site Cordes et Âmes: Comment fabriquer un Violoncello da spalla. Et si vous lisez l'anglais, l'article du magazine The Strad: Story of a rediscovery. Ce n'est pas tout les jours qu'on offre aux altistes un moyen de résoudre leur frustration numéro un: celle de ne pas descendre dans le grave autant qu'un violoncelle. Cela dit, si cet étrange violoncelle à épaule venait à se généraliser, cela pourrait donner aux traditionnelles blagues d'altistes un tout nouvel élan. Et pour les amateurs de défis, pourquoi ne pas envisager un Contrabasso da spalla ? Amis luthiers, à vos croquis...