samedi 19 novembre 2011

Sauvons les cordes en boyau de la vache folle

Amis pétitionneurs, bonjour. Après avoir sauvé la Recherche, les bébés phoques, les orchestres de la radio néerlandaise (enfin, pas complètement hélas) et défendu le droit au silence, il vous reste du boulot.

Non, je ne parle pas de notre crypto-ministre aux affaires étrangères BHL et de sa récente (quoique encore virtuelle) déclaration de guerre à Bachar El-Assad. Quel infatigable va-t'en guerre, celui-là...

Je parle d'un sujet plus consensuel à défaut d'être plus important: les cordes de violon en boyau. Elles grincent légèrement, ont une sonorité aigrelette, une certaine propension à se désaccorder ou lâcher au milieu d'un concert, mais on les aime et on ne peut pas s'en passer. Que voulez-vous, elles sont plus souples, moins uniformes que les cordes "tout métal", elles ont un son différent. Et surtout, elles sont d'époque. Alors pour jouer Lully ou Vivaldi, c'est comme les perruques et les chandelles: on ne saurait s'en passer.

Ne vous fiez pas à l'ironie apparente de ce billet pour en déduire que je méprise la musique sur instruments anciens. Je l'ai déjà dit, c'est tout le contraire: quoique ma sensibilité personnelle me pousse à préférer la musique d'aujourd'hui, les trucs bizarres ou électro-acoustiques, le travail sur le son est essentiel pour le musicien. Que le musicien en question travaille à l'Inter-Contemporain ou au Centre de musique baroque de Versailles, son métier est avant tout de sculpter le son.

plantu_53.jpg Or ces cordes en boyau sont menacées par des règlements européens qui limitent fortement (en fait interdisent complètement) l'utilisation des boyaux de boeuf. Ces mesures ont été bien sûr utiles pour lutter contre l'encéphalite spongiforme bovine (plus connue comme maladie de la vache folle) mais elles sont en train de tuer ce marché de niche qu'est la fabrication de cordes de violon et violoncelle pour instruments à l'ancienne. Les importations depuis Argentine restaient autorisées, mais pas de chance, le fournisseur vient de faire faillite. Les fabricants de corde, une poignée de PME aux abois, adressent une pétition à la Commission Européenne pour que leur profession ne soit pas l'innocente victime collatérale de mesures sanitaires par ailleurs justifiées. Ils rappellent au passage que leurs entreprises exportent des cordes (qui sont tout à fait sans danger pour la santé, si l'on exclut les crises de classiquite aigüe de symptôme baroquisant) et que par conséquent les assassiner à cause d'un bug de la machine technocratique conduirait à creuser le déficit commercial de la zone euro...

En un mot: signez.

jeudi 17 novembre 2011

Charlotte

J'ai rencontré Charlotte il y a un certain nombre d'années - dix-sept, pour être précis. Elle jouait de la flûte dans l'orchestre Ut Cinquième que je venais de rejoindre et qui depuis est devenu comme une seconde famille pour moi.

Je me souviens de son rire, de son sourire immense et rayonnant - en fait je n'arrive pas à me rappeler l'avoir vue autrement que souriante. Ce qui dénote certainement une certaine force de caractère. Je me souviens de ses cheveux toujours en bataille, du timbre particulier de sa voix, de ses chamailleries incessantes mais toujours amicales avec Philippe, l'autre flûtiste.

Combien de concerts d'orchestre avons-nous pu donner ensemble ? Dix par an en moyenne, une centaine au bas mot. Le concert est un moment particulier, il y a tous ces déplacements, déménagements, préparatifs, les applaudissements, le chef qui salue le public, le silence et puis... une alchimie qui transforme ces profs, avocats, informaticiens, vendeurs en artistes, qui les fait vibrer à l'unisson quoique sans paroles. Même lorsqu'il y a 60 personnes sur le plateau, le concert est un moment d'intimité partagée, où la personnalité profonde des uns et des autres se révèle et s'épanouit. Dans le cas des ensembles comme Ut Cinquième où le plaisir de jouer ensemble est la seule motivation des musiciens, ce sont aussi des moments amicaux et généreux partagés avec le public.

Je me souviens de Charlotte enceinte, rebondie comme un ballon, plus rayonnante que jamais. Ce gros ventre n'est-il pas un peu gênant pour jouer de la flûte ? Non, me répond-elle, au contraire, ça aide à stabiliser la colonne d'air. Et à calmer le bébé qui cesse de donner des coups de pieds !

Je me souviens aussi des bouts de chou qu'elle amenait en concert ou en répétition, qui grandissait comme par magie d'une année sur l'autre. Nous n'étions pas particulièrement proches, je ne connaissais pas sa famille et j'ignorais même sa passion pour l'alpinisme. C'est qu'elle n'aimait pas trop se vanter, parler d'elle, se mettre en avant. Souriante, avenante même, mais discrète et simple.

Elle a trouvé la mort il y a quelque jours dans le massif du Mont Blanc, en compagnie d'un guide et ami qui a péri lui aussi dans la tempête.

Nous étions réunis ce matin à Sainte Clothilde pour la messe d'enterrement. L'immense et froide basilique s'est révélée trop petite pour qu'on puisse assoir tout le monde. Famille, amis, musiciens, alpinistes, collègues... et au premier rang, son mari et ses deux enfants. C'est aux enfants que s'adresse le prêtre dans son homélie, leur expliquant avec des mots simples que cette petite foule rassemblée autour d'eux l'était par le miracle de l'amour que leur mère leur portait. 

En écoutant ces paroles, je crois avoir un élément de réponse à la question qui me taraude à chaque fois que j'assiste à une messe d'enterrement: à quoi bon ? A quoi bon tout ce tralala quand il n'y a plus rien à faire, rien à dire, que tout est fini ? Indépendamment des convictions que chacun peut avoir sur la destination de ce voyage que nous entreprenons tous tôt ou tard et dont personne n'est revenu, une cérémonie d'enterrement a sans doute une valeur pédagogique. Elle permet à chacun de constater, incrédule, que c'est bien fini, que cette personne qu'on a connu vivante, amicale, chaleureuse, proche est désormais séparée de nous, et de son propre corps qu'on a mis dans cette boîte en bois joliment décorée, ornée de fleurs blanches. L'évidente matérialité de ce corps qu'on entoure sans pouvoir le réchauffer rend solennelle la séparation, tout en encourageant les vivants au courage et à la compassion.

Durant cette cérémonie, nous avons joué Bach (concerto pour hautbois et violon) Mozart (concerto pour clarinette) et une pièce de Zino Francescati pour violon et cordes que je découvrait (manifestement ce musicien, à l'instar d'Adolf Busch ou Fritz Kreisler, était aussi compositeur à ces heures). L'hommage rendu par ses amis musiciens à Charlotte ne s'arrêtera pas là. Il est d'ores et déjà prévu de dédier les prochains concerts de l'orchestre à sa mémoire. Il y a également une pièce pour flûte que j'ai écrit pour l'occasion et dont nous reparlerons.

Au revoir, Charlotte. Au revoir et merci. 

vendredi 28 octobre 2011

Pour le droit au silence

Le silence est d'or, dit le proverbe. Comme le métal précieux, son cours risque la bulle spéculative tant il est devenu rare en comparaison d'une demande qui ne faiblit pas.

Notre époque se caractérise par l'invasion du bruit. Trains, avions, voitures, tondeuses à gazon ou souffleuses de feuilles: des millions de moteurs investissent et polluent l'espace sonore des villes, devenu d'une laideur ignoble que seule une forte accoutumance permet encore de supporter. Mais le pire des bruits, c'est bien sûr la musique. Musique que les machines peuvent amplifier et reproduire jusqu'à la nausée. Musique de remplissage, d'ambiance, d'ascenseur, de supermarché, produite au kilomètre et reproduite à l'infini, jusqu'à saturer la moindre parcelle d'espace sonore et nous faire perdre toute capacité à entendre notre silence intérieur, si essentiel à l'équilibre mental et physique.

Tout comme la voix parlée, la musique dérange plus que les bruits mécaniques ou naturels car elle sollicite l'attention: elle met en branle, qu'on le veuille ou non, ces zones du cerveau qui nous permettent de capter le rythme, le timbre, les hauteurs, de suivre les lignes mélodiques et de reconnaître les paroles (tout cela simultanément, ce qui constitue une petite prouesse de calcul parallèle, soit dit en passant). La musique subie provoque facilement des réactions agressives car il n'y a pas vraiment moyen de s'y soustraire: on ne peut pas détourner les oreilles comme on détourne le regard d'une scène pénible à voir. De même pour la parole, et spécialement les conversations téléphoniques car encore une fois notre cerveau, entendant la moitié d'une conversation, travaille instinctivement à imaginer l'autre. La voix parlée des publicités est spécialement pénible car elle a été travaillée afin de mieux capter l'attention: débit élevé, accents sur toutes les syllabes, compression dynamique (la compression consiste à trafiquer le signal sonore pour forcer le volume au maximum à chaque milli-seconde), slogans répétitifs et bien souvent "musicalisés"...

Les musiciens et mélomanes doivent être les premiers à s'insurger contre cet extrême abaissement de la musique ravalée au rang de remplissage sonore que personne n'écoute et que la plupart ne voudraient pas entendre. Il faut donc signer les pétitions comme celle-ci, initiée par Jean-Michel Delacomptée et destinée à la RATP. Il ne faut pas se priver en plus d'envoyer des messages au service commercial pour les insulter copieusement jusqu'à ce qu'ils débranchent ces fichus robinets à pollution sonore et restaurent la neutralité acoustique des lieux publics et la simple possibilité pour nous d'un minimum de sérénité intérieure.

vendredi 7 octobre 2011

Comment écrire un tube ?

Comment écrire un tube ? Une mélodie, un petite chanson qui va instantanément se fixer dans la tête des auditeurs, leur donner envie de chanter ou de danser (et peut-être même se transformer en virus auditif impossible à oublier). Voilà une question qui a certainement occupé les musiciens pendant de longs siècles, depuis les compositeurs d'opéra jusqu'à ceux qui écrivent les chansons de Johnny ou encore les musique de film. Curieusement elle ne semble guère préoccuper les compositeurs de musique sérieuse ou avant-gardiste, qui semblent avoir depuis longtemps renoncé à donner à faire chanter ou danser leur auditoire, engagés qu'ils sont dans des recherches trop abstraites (ou trop concrètes) sur le son lui-même.

Comment faire, donc ? Quelle est la recette miracle ? Comme l'aurait dit le regretté Pierre Desproges, que Dieu me tripote si je le sais ! Nous voilà en face d'un vrai mystère. L'harmonie, le contrepoint, l'instrumentation, voilà qui s'apprend et qui s'enseigne dans tous les conservatoires; la construction d'une mélodie est un sujet plus délicat, bien que certains compositeurs l'intègrent à leur enseignement (nous y reviendrons dans un autre billet). Construire une ligne mélodique solide, l'harmoniser au poil et l'instrumenter aux petits oignons, tout professionnel sérieux sait le faire. Mais trouver le petit truc tout simple qui fait mouche ? Les plus grands compositeurs comme les autres ont dû s'en remettre au hasard, à la divine inspiration.

Un exemple parmi mille ? Jean Sibelius, s'étant fait copieusement arnaquer par son éditeur au sujet de la Valse Triste (Marc Vignal raconte dans sa biographie qu'avec les droits de cette seule pièce, qui a été jouée des milliers de fois et arrangée pour toutes les combinaisons instrumentales ou presque, il aurait pu gagner très confortablement sa vie jusqu'à la fin de ses jours, au lieu de quoi il a touché une commission modeste à la livraison et plus rien par la suite), Jean Sibelius, disais-je, a essayé d'écrire d'autres Valses; il a tenté de reproduire cette émotion délicate et ambigüe qui se dégage des premières mesures; en vain. Jamais il n'a égalé ce petit chef-d'oeuvre.

D'ailleurs, un musicien qui est en train de trouver un air génial, le sait-il vraiment au moment où il le couche sur le papier ? A-t-il conscience qu'il est en train de faire quelque chose de différent ? Sans doute Mozart, en écrivant le thème qui ouvre sa 40e symphonie en sol mineur, le trouvait plutôt réussi, mais en quoi se distingue-t-il vraiment des thèmes utilisés dans les autres symphonies ? L'analyse est impuissante à l'expliquer (je vous invite néanmoins à lire cet excellent article sur le blog de Djac Baweur  qui abonde en remarques des plus pertinentes sur ladite symphonie).

 

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Heureusement, là où les hommes de l'art se sentent démunis, la science peut prendre le relais. Deux chercheurs britannique et américains prétendent avoir trouvé comment une combinaison de neuroscience, de mathématiques et de psychologie cognitive peut produire l'insaisissable élixir de la parfaite chanson que l'on va tous connaitre par cœur. Je vous laisse un lien vers le résumé (en anglais) de nos professeurs Tournimbus en goguette, car ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de se payer une bonne tranche de rigolade. Non contents d'être des champions en maths et en neuroscience (sic), ces grands savants sont aussi infatigables car ils ont observé des milliers des personnes écoutant des milliers de chansons (ce qui fait des millions d'observations, si je sais toujours compter).

Derrière des titres ronflants comme A new approach for understanding musicality se cachent en fait des outils destinés à l'analyse statistique des mélodies (représentées par une base de données de titres de pop anglaise réduits à l'état de fichiers MIDI). L'idée même de faire tourner des moulinettes écrites en R ou en python sur des milliers de chansons pop en espérant en tirer une quelconque information valable est tellement stupide qu'elle se passe de tout commentaire.

L'étude concernant la perception (qu'est ce qu'on retient d'une chanson qu'on a entendu une seule fois ?) est plus intéressante a priori, mais elle souffre aussi de nombreux biais. Pour n'en citer qu'un, toutes les chansons du "top 10" des scientifiques sont également des chansons qui se vendaient très bien, qui passaient beaucoup à la radio, et il est donc très probable que la majorité des gens ayant passé le test les avaient déjà entendues non pas une mais de nombreuses fois, et les connaissent quasiment par coeur à leur insu. Il y a aussi la question du lien entre les paroles et le texte, qui joue un rôle essentiel dans la mémorisation (et qui passe complètement à la trappe si l'on se contente d'une analyse statistique sur les notes).

Pour finir, nos pieds nickelés de la psychologie musicale définissent quatre critères qui permettent selon eux de caractériser une bonne chanson:

  • De longues phrases musicales (en une seule respiration)
  • Des mélodies basées sur un réservoir de notes suffisamment riche
  • Des voix masculines
  • .. de préférence dans l'aigu
Des contre-exemples sont faciles à trouver. Non seulement des tubes qui ne satisfont aucun des critères ci-dessus, mais aussi des mélodies qui les satisfont tous sans que personne ne les sifflote dans la rue (par exemple les airs de ténor du Lulu d'Alban Berg qui sera prochainement donné à l'opéra de Paris).

Un tube c'est une mélodie réussie mais c'est aussi un texte qui fait mouche, qui exprime quelque chose de l'air du temps, qui rencontre son public au bon moment. La notion de "tube" est également relative à un groupe culturel et à un style musical, c'est l'adéquation entre une étincelle créative et les attentes du public. Par nature, un tube est un moment unique, que même ses créateurs ne savent pas reproduire.

Un dernier point, le plus amusant: ces "scientifiques" qui prétendent donner la recette miracle pour écrire des tubes n'ont pas écrit une seule note de musique.

Fichier audio intégré

(terminons par un petit test pour nos lecteurs: arrivez-vous facilement à chanter la ligne de clarinette dans l'extrait musical ci-dessus après une seule audition ?)

jeudi 7 juillet 2011

Michaël Levinas reçu à l'Académie des Beaux-Arts

Michaël Levinas a été récemment reçu à l'Académie des Beaux Arts le 15 juin dernier. Le pianiste et compositeur, fils du célèbre philosophe, prend la place du très regretté et très attachant Jean-Louis Florentz. C'est un musicien pour qui j'ai une grande admiration, un de ceux qui ont apporté la preuve éclatante que pour être un bon compositeur, il n'est pas nécessaire d'être un médiocre interprète, et réciproquement.

Michael_Levinas_2.jpgPour plus de détails, je vous renvoie au compte-rendu de la cérémonie sur le blog de Jean-Claude Ledoux, ainsi qu'au discours prononcé par Michaël Levinas. Si Claude Ledoux estime que Levinas nous a envoûté une fois de plus par la beauté de son langage fleuri, j'apprécie plutôt en le lisant le style simple et direct, sans emphase, sans jargon prétentieux. Levinas parle très clairement de la musique des 30 dernières années (au moins d'une partie d'entre elle, qui gravite autour du courant spectral), des débats qui l'ont agité, des questions qui se sont posées à Florentz comme à lui-même. Que faire après la musique sérielle ? Qu'apportent les progrès de l'acoustique et de ce qu'on appelle aujourd'hui l'informatique musicale à la création artistique ? Ce n'est qu'à la fin que le discours ce fait plus lyrique, dans une fort belle conclusion sur le merveilleux que je ne résiste pas au plaisir de citer intégralement:

Comme Messiaen et comme moi-même, Florentz croyait au merveilleux en musique.

Merveilleux comme la rencontre et comme l’éblouissement amoureux.

C’est l’exigence de l’extraordinaire en art, du transcendant.
Vous avez rappelé, François-Bernard Mâche, le nom d’Emmanuel Levinas, mon père.

Extraordinaire, c’était son terme pour évoquer le souffle qui inspire les livres ; extraordinaire disait-il aussi pour évoquer la personnalité de Chouchani. Mon père s’exprimait ainsi pour parler de l’exception de certains de nos Maîtres, certains de mes maîtres en particulier : Lazare Levy, madame Marguerite Long, Olivier Messiaen, Xenakis ou encore Ligeti.

Extraordinaire ou merveilleux. Cela m’a marqué pour toujours.

J’appelle cela la recherche de la clef du merveilleux, le poétique, ou bien encore la révélation du buisson ardent.


L’idée musicale serait cette révélation presque surnaturelle qui transcende l’oeuvre.

Un bouleversement beethovenien, une rature de l’écrit, une bifurcation harmonique et linguistique inattendue chez Verlaine et Fauré, une polymodalité sur le thème se Dieu dans les Vingt Regards d’Olivier Messiaen.

Frisson de la découverte. Trouvaille ! « C’est trouvé » dit Dutilleux quand apparaît l’idée musicale ; une idée qui surgit hors du système, du prévisible, du convenu, un au-delà de la forme, un miracle, un frisson nouveau.

J’attends chaque jour ce miracle de la création musicale.

lundi 25 avril 2011

Du rififi à la Sorbonne

Après les orchestres de la radio néerlandaise, c'est l'Orchestre Universitaire de la Sorbonne qui est aujourd'hui menacé de disparition. Cette association qui fête cette année ses 35 ans d'existence fonctionne en partenariat avec Paris-IV Sorbonne. La participation à l'orchestre permet aux étudiants de valider des modules pour leurs diplômes de musicologie, des locaux et des heurs d'enseignement (autrement dit :des gros sous) sont mis à la disposition de Musique en Sorbonne.

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L'UFR de musicologie a décidé en février dernier de ne pas renouveler le partenariat, c'est à dire couper les fonds mais aussi de supprimer l'agrément qui permet aux étudiants d'intégrer l'orchestre dans leur cursus. Ce qui se cache au juste derrière cette décision n'est pas très clair, car la seule source d'information dont je dispose est la pétition qui dénonce et récuse cette décision.  Querelle de personnes, nous dit Daniel Morel dans son communiqué:

Dans un mail récent adressé à des signataires de la pétition et repris à destination de la communauté MusiSorbonne, l'UFR célèbre l'action de Jacques Grimbert et Denis Rouger sans citer une seule fois le travail accompli depuis trois ans par Johan Farjot, successeur de Jacques Grimbert à la tête du COUPS; Johan Farjot a porté la qualité de l'orchestre à un niveau jamais atteint et a fait rayonner Musique en Sorbonne par des actions nouvelles (organisation d'un Festival, organisation d'un concours "Jeunes Solistes" ouvert aux étudiants, ouverture à la musique contemporaine, …) dont la plupart sont réalisées en liaison avec l'UFR de Musicologie.

Il apparaît donc clairement que les querelles de personnes consécutives au départ de Jacques Grimbert prennent le pas sur les attentes pédagogiques des étudiants ; il s'agit de cloner le COUPS (mais avec quelle structure, quels moyens, pas un mot n'a été dit officiellement sur les personnels en poste) pour en faire un organisme sous le contrôle direct de l'UFR de Musicologie : recrutement des chefs (d'orchestre et de chœur) fait directement par l'université, comité de programmation rattaché à l’UFR qui décidera chaque année des œuvres à interpréter, ….

Les sites Qobuz et Resmusica ont repris l'info en se contentant de copier-coller le communiqué en question, on n'en saura donc pas plus. Le nœud de l'affaire est manifestement le contrôle de l'UFR de Musicologie sur l'Orchestre qu'elle finance (en partie seulement, le COUPS bénéficie d'autres recettes, comme les subventions publiques, le mécénat et la billetterie).

Quoi qu'il en soit, les justifications avancées officiellement par l'UFR pour une décision aussi grave paraissent des plus légères: "la direction de l’association « Musique en Sorbonne », sourde à nos demandes et fermée à toute concertation, n’est pas en mesure de répondre aux attentes de l’université dans ce nouveau contexte". Quelles peuvent être au juste ces attentes non satisfaites ? Il y a manifestement des raisons inavouables à cette décision. Quoi qu'il en soit le torchon brûle désormais entre musicologues et musiciens à Paris IV. Qui a dit que la musique adoucissait les mœurs ?

samedi 9 avril 2011

Arkhéion à la Maison de la Poésie de Paris

A écouter du 27 avril au 29 mai 2011 à la Maison de la Poésie de Paris, Arkhéion 2011. Un spectacle conçu et mise en scène par Wilfried Wendling, qui a également composé la musique:

[..] Un projet construit autour d'archives visuelles et sonores de l'Ina. Une cathédrale d'images et un quatuor à cordes jouent avec le passé, Guillaume Apollinaire, Jack Kerouac, René Char, Ezra Pound, Nathalie Sarraute, Jean Genet, Francis Ponge, Paolo Pasolini, Robert Desnos...

...Et cinq jeunes poètes, Laurence Vielle, Florence Pazzottu, Aurélie Loiseleur, Sophie Loizeau et Valérie Rouzeau, offrent en alternance et au fil des semaines leur performance. Des textes récents et inédits pour une tension poétique d'exception.

Le coeur du spectacle est constitué par des lectures de poèmes d'hier et d'aujourd'hui, par leurs auteurs, alternées avec des miniatures pour quatuor à cordes avec contrebasse. Ces miniatures que j'ai trouvées passionnantes explorent tous les aspects ou presque de l'écriture pour cordes contemporaine: spectrale, bruitiste, répétitive (plutôt comme Steve Reich que comme Philip Glass), etc.

Ma poétesse préférée participant à ces lectures, je ne saurai bien sûr que les recommander chaleureusement. Mais comme toujours, chers lecteurs, Je vous invite à écouter quelques extraits de la musique de Wilfried Wendling sur son site Internet pour vous faire une idée par vous-même et à consulter le site de la Maison de la Poésie pour le programme détaillé et les détails pratiques.

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lundi 21 mars 2011

Quatre ans de Journal de Papageno

Le Journal de Papageno va fêter ses quatre ans. Cinq cent billets, un millier de commentaires, et un nombre de visites quotidiennes qui me surprend toujours: environ trois cents si on exclut les robots des moteurs de recherche. Lesquels moteurs de recherche classent ce blog entre la 2e et la 7e position pour le mot-clé "Papageno", ce qui est une belle performance si l'on pense que Papageno est aussi le nom d'un magasin de disques à Paris, d'un ensemble de musique ancienne à La Haie, d'une très sympathique association qui organise des concerts dans les prisons et hôpitaux et bien sûr de mon personnage préféré de La Flûte Enchantée.

Quatre ans de questions qui restent encore ouvertes (Qu'est-ce que la musique tonale ? Pourquoi la musique contemporaine fait-elle fuir les amateurs de classique ? N'y a-t-il vraiment pas d'autre choix que le post-sérialisme ou le minimalisme néo-tonal ? Faut-il et peut-on encore écrire de la musique aujourd'hui ?). Quatre ans d'impressions partagées, d'étonnement, de coups de gueule et de coups de chapeau sur les concerts, les disques, les œuvres. Et aussi de commentaires souvent drôles, justes ou instructifs qui m'ont aidé à progresser dans mon chemin d'étudiant musicien. Merci à tous.

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Je n'écris rien ou presque dans ce journal qui ne soit pas en lien avec la musique. Ce n'est pas uniquement parce que je suis un mono-maniaque. Rien ne m'empêcherai de faire comme Palpatine et de commenter l'abstention aux Cantonales, la réforme constitutionnelle au Maroc, le séisme de Sendai ou la corruption des députés européens. Aucun de ses sujets ne me laisse indifférent, mais qu'aurais-je à raconter d'intéressant dessus ? On trouve déjà les faits, les avis d'expert et des éditoriaux de toute tendance politique dans les journaux et dans certains blogs spécialisés de très bon niveau comme par exemple Bug Brother (en français, sur la sécurité informatique et les libertés individuelles) ou The Oil Drum (en anglais, sur le pic pétrolier). J'ai préféré pour ce blog parler de choses qui m'intéressent directement et que je connais au moins un peu. Avec mon point de musicien étudiant, je peux éventuellement donner un son de cloche différent de ce qu'on lit dans la critique musicologique traditionnelle.

vendredi 17 décembre 2010

Une musique « difficile »

On ne croirait pas aujourd’hui de quelle réprobation fut frappée immédiatement cette admirable musique par la plupart des artistes. C’était bizarre, incohérent, diffus, hérissé de modulations dures, d’harmonies sauvages, dépourvu de mélodie, d’une expression outrée, trop bruyant, et d’une difficulté horrible.

Qui est l'auteur des lignes ci-dessus ? Hector Berlioz (extrait de A travers champs). Et de quelle musique parle-t-il ? Des symphonies de Beethoven.

L'adjectif « difficile » est devenu si courant dans des discussion au sujet de la musique d'aujourd'hui qu'il fait figure de poncif. Après un concert, si l'une des pièces a laissé une impression mitigée, si une personne exprime franchement le fait qu'elle a trouvé ça ennuyeux ou dissonant ou moche ou informe, et de façon quasi automatique on trouvera une autre personne pour déclarer en guise de défense que c'est une musique « difficile » certes mais passionnante.

Ce simple mot trahit toute une vision de ce que doit être la musique (sous-entendu la grande musique, la musique pure, la musique qui n'est pas « de film » ni « de danse » ni « populaire » ni « actuelle » ni quoi que ce soit d'autre). Déjà Berlioz, nous l'avons vu, déclarait au sujet des symphonies de Beethoven que c'était au public de faire des efforts pour en quelque sorte se mettre à niveau intellectuellement et esthétiquement afin d'en apprécier les beautés. Comme si une sorte de brevet de mélomane était nécessaire pour aller au concert et en retirer autre chose que des impressions confuses et subjectives. On retrouve cette conception chez Adorno (dans les articles où il défend la musique de Schönberg et agonit celle de Strawinsky) mais aussi chez Célestin Deliège parlant de Boulez et développant une notion de « pureté » de la musique, qui pourrait se mesurer en quelque sorte à la cohérence extrême de l'écriture musicale, au fait qu'un élément ajouté à cette musique apparaîtra immédiatement comme ajouté, justement. Un corolaire naturel de cette conception de difficulté pour l'auditeur et d'éducation nécessaire de l'oreille est le progressisme. Ainsi donc s'il fallait un brevet pour apprécier Beethoven, un niveau bac + 2 serait nécessaire pour apprécier les quatuors de Bartok et un master de mélomaniaquerie serait indispensable pour Luigi Nono ou Eliott Carter.

Les mots « stupide » et « prétentieux » ne sont pas assez stupide et prétentieux pour exprimer à quelle point cette notion de difficulté pour l'auditeur est stupide et prétentieuse. Est-ce que les films de Hitchcock ou Chabrol sont difficiles à regarder ? Est-ce que la cuisine d'un restaurant gastronomique étoilé est difficile à manger ? Un Sauvignon grand cru est-il plus difficile à boire qu'un vin de table ? Bien sûr dans tous les domaines que j'ai cité les connaissances ou l'expérience peuvent aider à mieux apprécier certaines subtilités, mais elles ne sont nullement indispensables. Produire un bon vin, écrire de la bonne musique, voilà qui est difficile: mais un enfant de cinq ans sait faire la différence entre un violoniste qui joue faux et un qui joue bien. Le même enfant, et c'est beaucoup plus subtil, entre un violoniste qui joue bien et un qui joue comme David Oïstrakh.

Cette conception de la musique « difficile » est tout d'abord contraire à la réalité des salles de concert: on trouve des mélomanes amateurs de musique d'aujourd'hui qui n'ont aucune éducation musicale. Par aucune éducation musicale, je veux dire aucune connaissance en solfège, par exemple ne connaissant pas la différence entre une quarte-et-sixte et un accord de septième diminuée, et n'ayant jamais pratiqué le chant ou un instrument de musique. Mais aucune connaissance formelle ne veut pas dire aucune oreille, bien au contraire ! Les personnes qui n'ont pas fréquenté les conservatoires sont souvent moins formatées, leur écoute à la fois plus attentive et plus ouverte car moins encombrée de préjugés et de classifications toutes faites. A l'inverse, un instrumentiste amateur ou professionnel qui aura passé dix ans à faire des gammes et jouer des « classiques » aura souvent une vision bien plus étroite de ce que peut être et doit être la musique, surtout la « grande » musique.

Si je m'insurge avec vigueur et même avec violence contre cette trompeuse notion de « difficulté » dans la musique contemporaine, c'est qu'elle sert souvent de cache-sexe à la médiocrité. Elle permet de parer à l'avance toute critique en renvoyant toute responsabilité sur les auditeurs (ou éventuellement les interprètes) dont la seule raison qu'ils auraient de ne pas aimer telle musique est qu'ils ne seraient pas « au niveau » en quelque sorte. Or, je l'ai dit et je le répète, pas besoin d'un diplôme de contrepoint pour reconnaître et apprécier pleinement la musique de Jean-Sébastien Bach. Sans même connaître le mot « contrepoint » on peut apprécier la beauté et la souplesse des lignes mélodiques et la rigueur avec laquelle elles se combinent. On peut passer dix ans comme Xhu-Xiao Mei à perfectionner une interprétation des Variations Goldberg mais dix secondes suffisent pour plonger avec ravissement dans la perfection plastique de ces variations en canon, en miroir, à l'endroit, à l'envers...

Autres notions corolaires de la prétendue « difficulté », celle de la « radicalité » ou de la « remise en cause » voire de la « déconstruction » de nos habitudes d'écoute. Il faudrait se livrer à une analyse stylistique des notices de concert pour recenser toutes ces formules prétentieuses qui reviennent sans cesse afin de nous expliquer que c'est une musique difficile, mais passionnante que nous allons entendre. Or la bonne musique parle d'elle-même, elle se passe d'explications, de prolégomènes, et de polémiques: que ça soit en douceur (comme le Requiem de Fauré) ou en force (comme le Sacre du Printemps, qui lui est contemporain) elle s'impose par elle-même et devient un élément du paysage.

Est-il vrai que le public recherche la facilité ? Oui, bien souvent, le public recherche avant tout le confort de ce qui est déjà connu ou bien conforme à ses attentes (y compris le public de l'ensemble inter-contemporain, d'ailleurs). Est-il vrai que créer de la musique nouvelle est difficile ? Oui, écrire et jouer de la musique innovante qui remet en question les attentes du public est difficile et parfois même héroïque. Lorsqu'on sait que les symphonies de Bruckner (qui sont pourtant basées sur le modèle beethovénien, mais ont un univers sonore tout à fait particulier) on mis près de 100 ans à être bien jouées par les orchestres et acceptées par le public, on peut se dire qu'un mauvais accueil lors de la première audition ne signifie par que l'oeuvre n'a pas de qualités. Mais l'argument n'est pas réversible: un mauvais accueil du public n'est en aucune façon un gage de qualité. Et chercher à tout justifier à l'avance en arguant que c'est une musique « difficile » (sous-entendu: difficile à écouter) c'est tout simplement se moquer du monde. Bien sûr le plus difficile, pour certains, est d'accepter de se remettre en cause et aussi d'arrêter de se comparer à Beethoven...

dimanche 12 décembre 2010

La panthère rose et le clavier bien tempéré

Jean-Sébastien Bach n'en finit pas de fasciner les musiciens de tous les âges et tous les styles. Il est impossible d'énumérer les morceaux de jazz, pop, soul, funk, rock ou techno qui reprennent des thèmes du Cantor de Leipzig, tant ils sont nombreux. La perfection du contrepoint du musicien allemand semble capable de survivre à toutes les adaptations, transcriptions, relectures, ré-interprétations. J'ai tout de même sélectionné la pochade de Aleksey Igudesman & Sebastian Gürtler, très drôle et impeccablement réalisée:

S'il est possible de jazzifier Bach sans limites, l'inverse est plus rare mais également envisageable. J'en veux pour preuve la fugue écrite par Stéphane Delplace sur le thème de la Panthère Rose (qu'on doit à Henri Mancini, compositeur américain de musiques de film). Ce qui est amusant ici c'est que les rythmes syncopés, le balancement (le swing, devrais-je écrire) sont remplacés par quelque chose de beaucoup plus régulier. Techniquement c'est une fugue à quatre voix, un beau travail de contrepoint à l'ancienne. Le titre de "Bach Panther" est d'ailleurs tout à fait explicite sur les intentions du compositeur. Le contraste entre la musique et l'interprétation très stricte de Stéphane Delplace et la manière de filmer très moderne et inventive de Stéphan Aubé est assez saisissant:

Notons que les quintes parallèles qui caractérisent le thème original de la Panthère Rose sont bien sûr absentes de la fugue de Delplace qui a choisi un style tonal des plus académiques pour cette pièce. C'est son choix, et il n'y a rien à redire là-dessus, tant on doit respecter la liberté du compositeur en la matière. Le style rythmique, l'harmonie, les timbres: tout change, sauf les notes. Ce qui constitue bien la preuve qu'il y a dans la musique bien plus que des notes. Au passage, si certains lecteurs se posaient la question: est-il possible d'écrire aujourd'hui du contrepoint à la manière de Bach ? la réponse est: oui, assurément. Et quant à ceux qui se demanderaient à quoi ça sert, on pourrait toujours leur répondre: à quoi sert la musique de toute façon ? Doit-elle vraiment servir à quelque chose ?

samedi 13 novembre 2010

Peut-on sauver les orchestres de la radio néerlandaise ?

Le Centre Musical de la Radio Néerlandaise (plus connu comme MCO pour MusikCentrum van de Omroep), qui gère trois orchestres symphoniques et un choeur, est menacé de fermeture pure et simple par le gouvernement. C'est la crise, nous dira-t-on, et elle a bon dos la crise surtout lorsqu'on sait que les Pays-Bas, l'un des pays les plus riches d'Europe, a tout comme la France été relativement épargné par la crise dite des subprime. Bien sûr il est toujours plus facile pour un gouvernement de sabrer les crédits de la culture, même si ceux-ci représentent une part infime du budget public, que de faire du cost-cutting en réduisant les gaspillages dans leur propre administration.

Quant aux musiciens, il y a peu de professions (à part peut-être chercheur scientifique) où l'on va trouver des gens prêts à fournir autant de travail et de talent en se contentant d'une paye modeste. Et dans le cas des orchestres de la radio, entre les concerts gratuits, la radio, la diffusion sur Internet, ce sont vraiment des millions de personnes qui bénéficient des produits de leur travail.

Enfin, il est paradoxal de vouloir supprimer des orchestres symphonique à l'époque où les salles de concerts se remplissent si facilement, où l'on fait 3 heures de queue pour la moindre exposition à Paris, où les festivals qui programment plusieurs jours de musique non-stop se multiplient. En bref, à une époque où la demande culturelle n'a jamais été aussi forte. Et comme le remarquait cyniquement un de mes amis élève en direction d'orchestre, avec le vieillissement de la population, la musique classique c'est comme la gérontologie: une discipline d'avenir.

Bref, il y a une pétition en ligne. J'hésite à la signer car c'est avant tout aux citoyens néerlandais de se mobiliser, mais je la soutiens sans réserve.

lundi 8 novembre 2010

Décès de l'altiste russe Rudolf Barchaï

C'est un grand monsieur de l'alto qui nous a quitté le 2 novembre en la personne de Rudolf Barchaï. Il fait partie des fondateurs du mythique quatuor Borodine (c'était en 1944). Ami de Chostakovitch, il a joué avec des musiciens comme Oistrakh, Richter ou encore Leonid Kogan. Passé à l'ouest en 1975, il a fait carrière comme chef d'orchestre et enregistré de nombreux disques dont une intégrale des symphonies de Chostakovitch, dont il a également arrangé certains quatuors pour orchestre.

A titre personnel, si je n'ai jamais eu l'occasion de l'entendre jouer ou diriger en concert, son enregistrement avec Yehudi Menuhin de la Symphonie Concertante de Mozart (pour le label EMI) reste celui qui a ma préférence: aucune emphase mais aucune sécheresse, une élégance certaine et un lyrisme qui va droit au coeur. Et bien sûr ce qui est essentiel dans cette oeuvre une grande complicité entre les solistes. D'ailleurs ça n'est pas pour faire de la pub mais il semble qu'on le trouve encore dans le commerce.

Pour finir, voici un documentaire où le musicien russe évoque son ami Chostakovitch en parlant notamment des dissonances supprimées par peur de la censure:

vendredi 1 octobre 2010

L'Orchestre Moderne recrute

L'Orchestre moderne recherche des musiciens pour renforcer ses pupitres de cordes (violons, altos, violoncelles, contrebasses). C'est un orchestre composé pour l'essentiel de jeunes professionnels qui a deux particularités:

  • Le répertoire un peu moins traditionnel que d'habitude, qui fait la part belle aux œuvres du XXe et XXIe siècles, aux œuvres méconnues et aux créations.
  • Les concerts souvent donnés au profit d'œuvres caritatives (la dernière série de concerts a permis d'envoyer des instruments de musique à la fondation Allegro Argentina de Rosario en Argentine).
N'hésitez pas à visiter le site de l'OM (rien à voir avec le foot ni avec la belle ville de Marseille) pour plus de détails.

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jeudi 10 juin 2010

Papy fait de la résistance

Le titre de ce billet est mauvais, trouvez-vous ? Il n'est pas de moi mais de Renaud Machart: c'est la phrase qui conclut l'article (mais peut-on appeler ça un article) publié dans le Monde à propos du double concert-anniversaire les 27 et 28 mai derniers à l'occasion des 85 ans de Mr Boulez.

De musique, il n'est guère question dans ce papier qui n'y consacre pas plus de deux lignes, uniquement pour qualifier de conventionnellement ancrées dans une sinistre esthétique d'avant-garde "fin de siècle" la musique de Jean-Baptiste Robin et Helen Grimes. Ceux qui voudraient se faire une idée du concert seraient bien mieux inspirés de lire les blogs comme celui de Palpatine (partie 1 et partie 2) plutôt que les compte-rendus de la presse officielle. Palpatine n'hésite pas à écrire qu'il n'aime pas telle ou telle pièce (il écrit par exemple: imaginez qu'une armée de nain mette le zouc dans votre cuisine, et tape sur les casseroles à propos Notation II - "Très vif-strident") mais il admet que l'on puisse penser différemment, et livre ses impressions en toute indépendance et sans arrière-pensée. Ce qui constitue deux différences majeures par rapport à la critique officielle, et c'est bien pour cela que je ne lis quasiment plus que les blogs.

Non, l'essentiel à retenir de ces deux soirées-là n'était pas la musique, bien que Bartok, Varèse, Berg, Webern, Messiaen, Berio, Carter, Donatoni, Stockhausen, Kurtag soient mobilisés pour l'occasion. Excusez du peu ! L'essentiel c'est que Mr Boulez est passé de mode, et que les musicographes qui s'en défendaient bien jusqu'à présent se sentent désormais autorisés à en dire du mal.


Les critiques musicaux sont encore plus moutonniers que les analyses financiers ou les agences de notation: lorsque ces derniers vous disent "achetez", le titre a déjà tellement monté qu'il est devenu trop cher; et lorsque les critiques musicaux vous disent "le contemporain radical et avant-gardiste est passé de mode", cela fait déjà 30 ans que les compositeurs ont massivement effectué le virage. Et ceux qui ne l'ont pas effectué peuvent être taxés d'un certain "conservatisme contemporain", oxymore savoureuse s'il en est. 

Du reste qu'est-ce que la modernité ? Si être moderne c'est être de son temps alors les musiciens des années 1950, après la grande destruction des guerres mondiales et dans une période d'essor économique et démographique sans précédent, avaient toutes les raisons d'écrire une musique audacieuse qui se projetait vaillamment vers un futur forcément meilleur. Et ceux des années 2000, où les crises succèdent au crises, qu'elles soient environnementales, morales ou économique, où la morosité domine, ont toutes les raisons d'écrire un musique régressive, qui se retourne vers le passé et se caractérise surtout par ce qu'elle n'ose pas.

Restons-en là pour l'instant avec cette éternelle querelle des anciens et des modernes, qui fait couler beaucoup d'encre mais ne dit rien sur la musique elle-même. L'histoire montre que la musique bien écrite, quelle que soient le positionnement esthétique de son créateur, s'impose d'elle-même dans le répertoire.

Il est fort peu probable que Pierre Boulez ou ses proches lisent le blog d'un musicien débutant et insignifiant comme moi. Néanmoins si cela arrivait j'en profiterais d'abord pour lui transmettre tous mes vœux de bonheur et de santé à l'occasion de son 85e anniversaire, et pour le remercier sincèrement et chaleureusement de tous les efforts pour défendre encore et toujours la musique d'aujourd'hui, la sienne comme celle des autres, en refusant tout compromis. Le terme de résistant employé de façon ironique et péjorative par le critique du Monde n'est peut-être pas si mal choisi.

mardi 18 mai 2010

Disparition d'Yvonne Loriod

Il nous faut aujourd'hui saluer la mémoire de la pianiste Yvonne Loriod, disparue le 17 mai 2010. Seconde épouse d'Olivier Messiaen, elle a participé à quasiment toutes ses créations depuis les Vingt Regards et les Visions de l'Amen en 1944 jusqu'au Concert à Quatre cinquante ans plus tard. Participer est à entendre au sens large, car en plus de tenir la partie de piano, elle aidait également Messiaen à corriger et relire les épreuves de ses partitions, à enregistrer les chants d'oiseaux aux quatre coins du monde. En 2008 elle a tout naturellement présidé les cérémonies du centenaire. C'est une grande dame du piano moderne, dont le rôle ne s'est pas limité à celui d'assistante de son époux, car elle a défendu sur scène et enregistré la musique de Boulez, Jolivet, Barraqué, Schönberg, Bartók, et bien d'autres. On peut lire dans le Monde le témoignage de Roger Muraro: "C'était une personnalité très forte, exceptionnelle dans son domaine, une figure de proue de la découverte de la musique de la seconde moitié du XXe siècle".

D'après la biographie de Simeone et Hill, Olivier Messiaen et Yvonne Loriod ont joué ensemble les Visions de l'Amen plus de cent fois en public. Il nous en reste fort heureusement des enregistrements d'une clarté merveilleuse où les qualités dynamiques de la musique de Messiaen sont autant mises en valeur que son côté méditatif (qui est peut-être plus connu et que les pianistes aujourd'hui ont tendance à exagérer). Ré-écoutons ensemble avec recueillement et gratitude le n°5 'Amen des Anges, des Saints, du Chant des Oiseaux':

dimanche 4 avril 2010

Une grande fugue pour une grande brune

Il y en a tout de même qui ont de la chance. Mme Carla Bruni, non contente d'avoir remporté haut la main le jeu de télé-réalité "le bachelor de l'Elysée" en 2007, a pu récemment, lors d'une visite officielle de son mari à New-York, visiter la Juilliard School où l'on a sorti pour elle quelques trésors de la bibliothèque de partitions. Ainsi l'autographe de la version pour piano à 4 mains de la Grande Fugue opus 133 d'un certain Ludwig van (autre star de la chanson populaire en son temps). Largement de quoi expliquer ce sourire qui va littéralement d'une oreille à l'autre.

C'est aussi pour nos lecteurs l'occasion de rappeler cette anecdote au sujet de Beethoven et des grands de ce monde. En 1806, alors que l'Autriche était occupée par Napoléon, son mécène (son employeur si l'on veut), le prince Lichnowsky, l'avait menacé de prison s'il continuait à refuser aussi obstinément de vouloir jouer pour les officiers français qui occupaient son château. Beethoven lui a envoyé cette lettre de démission colérique et sublime:

« Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven. »

Les compositeurs morts ont décidément bien des avantages. Car il ne fait aucun doute que ce sacré Beethoven, s'il était encore parmi nous, aurait été capable d'éconduire la Première Dame avec la plus parfaite grossièreté.

dimanche 28 février 2010

La mort du basson français

Les instruments de musique vivent, ils évoluent, et parfois ils meurent. Si le violon n'a quasiment pas changé depuis Stradivarius et Guarneri, le piano moderne n'a rien a voir avec les pianoforte des années 1840 ou même 1900. Les instruments à vents ont eux aussi beaucoup évolué, la plupart des instruments de l'orchestre ayant acquis leur forme moderne au XIXe siècle. Des pionniers comme Buffet, Sax, Boehm, Heckel ont beaucoup travaillé pour améliorer la justesse, le confort de jeu, les possibilités dynamiques et conquérir le total chromatique (c'est à dire permettre de jouer tous les demi-tons).

Or contrairement à la flûte ou la clarinette, le basson, instrument né au XVIe siècle, a connu non pas une mais deux grandes formes moderne. D'un côté, le basson français de Buffet, de l'autre le basson allemand de Heckel, plus couramment appelé Fagott (transcription dans la langue de Goethe de l'italien fagotto). Heckel a revu l'instrument de fond en comble, la perce, l'anche, les trous et le système de clés, alors que Buffet s'est contenté d'améliorations plus modestes à partir basson baroque.

Malgré leur ancêtre commun et leur air de famille, le basson français et le faggott allemand sont deux instruments complètements différents. Les doigtés n'ont rien à voir, ce qui rend le passage de l'un à l'autre problématique pour les instrumentistes. Mais c'est surtout le son qui diffère. Celui du basson français est boisé et typé, parfois nasillard, pas très puissant; celui du fagott est plus large et rond, homogène mais moins typé. Le son du fagott se confond plus facilement avec celui du cor, ce qui prive l'orchestre d'une couleur suffisamment différenciée. Ajoutons que le fagott est plus puissant dans le forte, ce qui a son importance dans les orchestres pléthoriques et riches en cuivres qu'on emploie aujourd'hui.

Seulement voilà, le basson français est en régression constante, y compris dans les orchestres et les conservatoires français. La faute à qui ? De l'avis de nombreux bassonistes, aux facteurs d'instruments qui n'ont pas fait évoluer l'instrument alors que les facteurs allemands apportaient sans cesse des améliorations au fagott, suivant l'évolution du goût et de la technique modernes. Placez-vous dans la peau d'un jeune bassoniste qui doit choisir son instrument. S'il apprend le fagott, il pourra trouver une place dans n'importe quel orchestre Européen ou Américain, y compris en France. S'il apprend le basson français, son choix sera beaucoup plus limité.

Le verdict est aujourd'hui sans appel: ainsi que l'a remarqué Jean-Louis Petit, lors d'un concours international de Paris-Ville d'Avray en 2009, sur 13 candidats demi-finalistes, on trouvait autant de joueurs de fagott. Le basson français, qui était simplement en perte de vitesse il y a une vingtaine d'années , semble aujourd'hui en voie de disparition. Peut-on le sauver ? Jean-Louis Petit a lancé un appel aux Compositeurs (avec un grand C s'il vous plaît) sur son site internet:


Naturellement ceux qui n'ont pas d'oreille(s) ou que la musique indiffère ne sont pas concernés, mais les Compositeurs, qui voient dans cette disparition s'appauvrir leur palette sonore, doivent se sentir profondément affectés à l'égal d'un gastronome devant la disparition d'un grand cru.

 

Pendant que les bassonistes français se chamaillent sur des questions subalternes relatives aux prétendus avantages de l'un sur l'autre, au niveau du bocal, de la perce, des clés, des anches, du "confort",...et que les luthiers ne font que constater et subir le déclin de leur production, il me semble être du devoir des Compositeurs de (se) manifester pour réclamer des mesures permettant tout au moins de maintenir à un niveau égal la cohabitation du basson et du fagott dont les sonorités sont si différentes, mesures à prendre tant au niveau de l'enseignement que de la diffusion au sein des orchestres subventionnés.


Les compositeurs peuvent-il vraiment sauver ce bel instrument, si les bassonistes et les luthiers y échouent ? La solution tient peut-être dans le tout dernier mot de la citation,subventionnés. Il suffirait de convaincre certain ministre que le Basson Français fait partie intégrante de notre Identité Nationale, et qu'il mérite qu'on y consacre des sommes qui de toutes façon resteront ridiculement modestes comparées à ce qu'on dépense pour d'autres spécialités nationales subventionnées comme le cinéma, le roquefort ou les centrales nucléaires. Finalement, et contre toute attente, il se pourrait que quelque chose de bon et de constructif sorte de ce fameux débat sur l'identité nationale. Allez, tous ensemble, avec moi: un Besson pour mon basson !

dimanche 14 février 2010

Un compositeur est-il un artiste ?

Qu'est-ce qu'un artiste ? Qu'est-ce que l'art ? Une question qui intéresse les philosophes et bien sûr les artistes depuis toujours. Un début de réflexion nous permet de dire assez vite ce que l'art n'est pas:

  • Beau mettez dix personnes devant un tableau de Francis Bacon (comme l'étude sur le portrait de Pie X d'après Velasquez reproduite ci-dessous), et demandez-leur les dix épithètes qui leur viennent spontanément à l'esprit: très vraisemblablement, l'adjectif "beau" n'apparaîtra pas une seule fois. On pourrait multiplier les exemples, dans tous les arts, d'œuvres ou l'affreux et le laid semblent recherchés avec énergie.
  • Utile. Certains utilisent même l'inutilité comme un des traits distinctifs de l'art: les oeuvres d'art n'ont pas d'autre finalité qu'elles-mêmes. Elles sont parfois créées contre rémunération, elles peuvent véhiculer des valeurs morales ou des messages politiques, mais ce qui en fait des œuvres d'art persiste même lorsque les valeurs morales ou les messages politiques en question ont perdu leur signification depuis longtemps. On continue à admirer les peintures qui décorent la chambre royale de la pyramide de Gizeh alors même que le contexte politico-culturel de leur création nous est devenu parfaitement étranger. Les réflexions de Charles Darwin, pourtant mélomane, sur l'inutilité de la musique (en tant que facteur donnant un avantage comparatif à l'espèce homo sapiens) vont également en ce sens.
  • Agréable: Quoiqu'inutile, l'art n'est pas un simple divertissement, car un divertissement est toujours agréable. Les tableaux expressionnistes allemands, ou les opéras comme Lulu d'Alban Berg visent au contraire à créer une sorte de malaise chez le spectateur.
L'art n'est ni beau, ni utile, ni agréable, c'est acquis. Qu'est-il donc en somme ? Un peu d'étymologie peut nous aider. Le latin ars désigne un savoir-faire, un tour de main, l'habileté acquise dans un métier. La distinction entre l'artiste et l'artisan est celle qui sépare les arts libéraux (les loisirs d'un homme libre) des arts mécaniques (comme le métier de plombier). On peut tenter d'autres classifications comme les arts plastiques (architecture, sculpture, peinture) d'un côté et les arts rythmiques (danse, musique, poésie) de l'autre. Mais où placer le cinéma, septième art qui est aussi plastique que rythmique ? Et la bande dessinée ? L'art japonais de servir le thé (chanoyu) ou de composer des bouquets (ikebana) ? Ou encore les jeux vidéos et les formes d'art qui restent à inventer ? Une simple énumération des disciplines artistiques ne semble pas suffisante pour définir l'art.

Ce qui semble s'imposer comme une évidence, c'est que le travail de l'artiste est un travail sur le corps. C'est le geste même de l'artiste qu'il soit peintre, danseur, ou musicien, qui constitue l'oeuvre d'art. L'oeuvre d'art est le fait de peindre le tableau, et non le tableau lui-même, qui n'est qu'un support physique qu'on peut au besoin dupliquer, restaurer. De même lorsque j'écoute un disque d'Avishaï Cohen l'oeuvre d'art n'est pas la mince galette de polymères que je tiens entre les mains et qui aurait pu être remplacée par une autre support, MP3 ou 33 tours: l'œuvre d'art c'est la production du son par les musiciens.

Une oeuvre d'art correspond à un geste et donc à un moment de l'histoire, une rencontre entre l'artiste et son public. C'est ce qui lui donne son caractère unique, personnel, subjectif, inexplicable. C'est ce qui distingue le savoir-faire de l'artiste du savoir scientifique qui se doit d'être objectif, reproductible, explicable. Le savoir de l'artiste ne peut d'ailleurs pas être transmis intégralement: d'où les mots comme talent et génie qu'on utilise pour désigner ce qu'il y a d'unique et d'irremplaçable chez un artiste.

Autre certitude, l'art est une forme de communication. D'après Marcel Proust c'est peut-être la plus parfaite qui soit, le meilleur moyen pour les individus, définitivement isolés dans leur univers propre, de se comprendre et de partager tant soit peu. De même que le travail de l'artiste est un travail sur le corps (désolé pour mon insistance sur ce point), l'œuvre d'art s'adresse aux cinq sens. C'est là l'origine du mot esthétique et c'est aussi ce qui distingue l'art des disciplines purement intellectuelles comme les mathématiques ou la philosophie. La différence entre un essai philosophique et un recueil de poésies est que le deuxième s'adresse à mon sens du rythme, de la couleur des voyelles, de l'harmonie d'un vers et qu'il parle à mes émotions davantage qu'à mon intellect. Or ces deux objets sont identiques d'un point de vue matériel (ce sont deux livres). Mais nous l'avons déjà dit l'objet n'est pas l'oeuvre d'art mais seulement son support. Un objet comme une canne ou une assiette peut être ou ne pas être une oeuvre d'art, selon les intentions de celui qui le fabrique et la sensibilité de celui qui le reçoit.

Nous sommes maintenant mieux équipés pour affronter les sept paradoxes de l'art:
  • Il est individuel et universel
  • Il est corporel et immatériel
  • Il est inutile et indispensable
  • Il est inexplicable et évident
  • Il est solitude et dialogue
  • C'est le miroir d'un époque et il est intemporel
La clé de ces paradoxes se trouve dans la relation de l'artiste à son public. Dans chacune des sept phrases ci-dessus, le premier terme exprime le point de vue de l'artiste et le second celui de l'esthète.

Il nous reste une dernière question, celle qui forme le titre de ce billet. Un compositeur est-il un artiste ? Précisions la question. Un musicien de jazz, qui improvise pour son auditoire, est un artiste, d'après la définition que nous avons donnée. Un musicien classique qui ne sait que lire des partitions toutes faites est encore un artiste, bien qu'un peu incomplet ou limité par son rôle d'interprète. Mais un homme dont le travail est de produire des partitions, est-ce bien un artiste ? La réponse ne va pas de soi car il ne travaille pas vraiment avec son corps et n'entre pas en communication directe avec son public. Il ne produit que des signes indéchiffrables sur du papier.

Cependant, il y a tout de même des éléments qui plaident en faveur du compositeur:
  • A tout prendre, un poète lui aussi ne produit que des signes sur du papier. Ce qui n'empêche pas un poème d'avoir un souffle, un élan, un rythme, une physionomie toute personnelle. Le compositeur a besoin du musicien-interprète comme le poète a besoin du lecteur-interprète: nul ne niera qu'un poème est un oeuvre d'art, il faut donc qu'une sonate puisse être une oeuvre d'art elle aussi.
  • Il y a bien quelque chose d'éminemment personnel, inexplicable et intransmissible dans une partition. On peut par exemple critiquer ou au contraire couvrir de louanges les symphonies de Bruckner, leur esthétique, leur orchestration; cependant personne n'est capable de terminer sa Neuvième Symphonie. Le plus érudit des musicologues brucknériens en serait incapable; et si un compositeur de quelque talent s'attelait à la tâche, sa propre personnalité transparaîtrait autant que celle du maître autrichien dans ce travail. Il semble bien qu'avec la mort d'Anton Bruckner, quelque chose d'unique et d'irremplaçable ait disparu.
  • Beaucoup de compositeurs sont également interprètes et improvisateurs. On reparlera peut-être des différences entre musique improvisée et écrite dans ce journal; il reste que le geste d'écrire et celui d'improviser sont souvent assez proches. Pour écrire de la bonne musique, ne vaut-t-il pas mieux entendre, ressentir ce que l'on écrit ? N'est-ce pas là ce qu'on appelle une musique inspirée ?
A la lumière de ces considérations, nous pouvons terminer sur une note optimiste: oui, un compositeur peut être un artiste. Du moins, il a une petite chance de le devenir.

samedi 30 janvier 2010

Thème et Variations

Les lecteurs de ce blog savent bien que c'est dans les vielles gamelles qu'on fait les meilleurs soupes. Et aussi que les classiques fournissent les trois quarts des mélodies utilisés avec plus ou moins de bonheur dans la musique populaire de tous les styles, y compris l'électo.

Au départ était un guitariste espagnol, Franciso Tárrega. Il a écrit de nombreuses pièces dont Gran Vals où l'on trouve ce curieux motif mélodique répété plusieurs fois

Bien sûr la majorité des gens ne connaissent cette petite mélodie que parce qu'elle est utilisée par défaut comme sonnerie par les téléphones Nokia, d'où son surnom de "Nokia tune" ou "Nokia ringtone". Il y a même des légendes urbaines qui circulent sur l'origine de ce motif de douze notes (attention la vidéo ci-dessous est réservée à un public averti):

Mais l'ignorance de son origine n'a pas empêché les musiciens s'en emparer pour des jeux plus ou moins sérieux. Commençons par un impromptu de Alterisio Paoletti:

puis une autre improvisation au piano, plus développée et virtuose:

Une version pour orchestre de chambre:

Une valse pour harmonica et piano:

Et même une petite fugue, dont mon professeur dirait certainement qu'elle est bourrée de fautes d'harmonies, et il aurait parfaitement raison, car j'en ai trouvé une douzaine dans les dix premières mesures:

samedi 23 janvier 2010

L’imaginaire de l’alto dans la France contemporaine

Le titre de ce billet est celui du mémoire de master de musicologie d'une camarade altiste qui m'a envoyé  toutun questionnaire sur l'alto. Autant partager mes réponses avec les  lecteurs du journal de Papageno. Les altistes qui le souhaitent peuvent répondre au même questionnaire et me l'envoyer afin que je le retransmette à mon amie.

  • A quel âge avez-vous débuté l’alto ? 5 ans
  • Êtes-vous un(e) ancien(ne) violoniste ? non
  • Si oui, quand êtes-vous passé(e) à l’alto ?
  • Continuez-vous à jouer du violon ?
  • Pouvez-vous résumer brièvement votre parcours musical (vos études antérieures et actuelles) ? cahotique
  • Quelle est votre ambition par rapport à l’alto (loisir, enseignement, orchestre, soliste, chambriste) ? Un peu tout ça, mais on pourrait ajouter « compositeur ».
  • Quelles sont vos principales difficultés par rapport à l’alto ? La justesse
  • Quelles sont vos pièces préférées ? Bach et le répertoire contemporain
  • Avec quelles méthodes travaillez-vous (cahiers de gammes, d’études ou de technique) ? Quand j'étais petit j'ai travaillé avec les exercices et études de Mazas, Carse, Sevcik et consorts. Aujourd'hui j'invente des exercices adaptés en fonction du répertoire que je travaille.
  • Quelle importance accordez-vous à la musique de chambre ? Primordiale
  • Quels sont vos altistes de référence ? Gérard Caussé, Pierre-Henri Xuereb, Antoine Tamestit, Arnaud Thorette, Vincent Royer
  • Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour devenir un bon altiste ? Un petit grain de folie et une bonne dose de masochisme
  • Que pensez-vous du répertoire de l’alto ? Il n'est pas très étendu mais plus moderne et plus varié que celui du violon.
  • Une grande partie du répertoire pour alto est constituée de pièces issues des XXe et XXIe siècle. Êtes-vous ouvert(e) à ce type de musique ? On peut dire que oui.
  • Quels sont, selon vous, les altistes les plus médiatisés aujourd’hui ? Yuri Bashmet, Tabea Zimmermann, Kim Kashkashian, Nobuko Imaï
  • Selon vous, pourquoi l’alto n’est-il pas connu du grand public ? Et pourquoi le serait-il ? L'alto c'est comme le ski, ça deviendra moins bien quand ça se sera démocratisé.
  • « Les altistes sont des violonistes ratés ». Que pensez-vous de ce cliché ? Quelles sont les raisons pour lesquelles les violonistes passent à l’alto ? On peut dire que ce sont plutôt les violonistes qui sont des altistes ratés, car ils ne connaissent pas la clé d'Ut 3, tandis que la plupart des altistes savent jouer du violon.
  • Selon vous, quelles sont les principales différences entre l’alto et le violon ? Comme l'écrivait Ligeti dans la notice de sa sonate pour alto, techniquement c'est juste une quinte qui sépare le violon et l'alto, mais en réalité c'est tout un univers.
  • Pensez-vous qu’il y a un état d’esprit propre à l’alto ? Si oui, comment pourriez-vous le caractériser ? Les altistes ont souvent un rôle modeste voire ingrat, celui du lien indispensable mais discret entre les violons et les violoncelles et contrebasses. L'état d'esprit d'un altiste épanoui est donc celui d'un musicien qui n'aime pas se mettre au premier plan mais qui se réjouit de partager des émotions musicales avec les autres musiciens comme avec le public. Dans les orchestres, les altistes sont souvent réputés plus ouverts et sympathiques, moins obsédés par la hiérarchie que les violons (super-soliste, 2e soliste, chef d'attaque, 2e chef d'attaque, etc). Cet état d'esprit se manifeste aussi dans les traditions comme les « blagues d'altistes » qui montrent une grande capacité à la bonhommie et à l'auto-dérision. Les altistes sont souvent appréciés de leurs pairs, et particulièrement ceux d'entre eux qui jouent juste et en mesure, car il en existe malgré tout ce qu'on a pu dire !
  • L’alto est souvent présenté comme un instrument intimiste, loin de la virtuosité d’esbroufe. Qu’en pensez-vous ? Cette réputation tient peut-être autant au répertoire qu'à l'instrument lui-même. Le répertoire des concertos pour violon et pour violoncelle s'est constitué principalement au XIXe siècle, époque de Paganini, Liszt, où l'étalage de la virtuosité du soliste était dans le goût du public. Les concertos pour alto, écrits au XXe siècle, semblent moins valoriser la virtuosité pour elle-même, et transmettre des sentiments d'une façon moins extravertie, avec un lyrisme plus paradoxal. Le timbre de l'alto, plus sombre que celui du violon, plus fragile que celui du violoncelle, convient bien à cette évolution. D'après l'écrivain Richard Millet, l'alto est élégiaque par nature, c'est l'instrument qui peut faire entendre « la voix des morts ». Mais le répertoire moderne pour alto comprend également des pièces très virtuoses comme la Sequenza de Berio. Et d'autres qui exploitent sa voix un peu rauque dans des pièces au caractère rocailleux et archaïsant. Et encore d'autres qui jouent à l'auto-dérision avec ce gros violon mal dimensionné, au son étrange et ambigu. Par delà les clichés de l'instrument « intimiste » au son « voilé », qui conviendraient sans doute mieux à la viole d'amour, la personnalité de l'alto est donc multiple et difficile à définir, ce qui fait d'ailleurs tout son charme.
  • Selon vous, où se situe la notion de virtuosité à l’alto ? À partir de la troisième position ?

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