La faute au public (suite de la suite)

L'opéra de Paris n'a pas le public qu'il mérite. C'est en tout cas ce que déclare Gérard Mortier, et pas dans le bistrot du coin, mais dans un entretien paru dans Le Monde du 8 janvier dernier. On y retrouve les thèmes déjà développés par le chef S. Cambreling, à savoir que les spectateurs de l'Opéra de Paris sont des imbéciles. S'ils ont sifflé certains spectacles, c'est nécessairement parce qu'il prétendent tout savoir comme Mme Verdurin. Ils pourraient faire confiance aux experts, aux spécialistes, à ceux qui savent.

On pourrait trouver stupéfiant qu'un directeur de maison d'opéra crache ainsi sur le public qui après tout est la raison d'être d'un théâtre. Pour qui travaille-t-il si ce n'est pour le public ? Et ce d'autant plus que Gérard Mortier ne semble pas du tout emballé par la rediffusion des opéras à la télévision ou sur Internet (J'ai d'autant moins raté ce train que je ne veux pas monter dedans ! ). Pourquoi donc tant de haine entre le public et cet homme qui prétend avoir entendu des cris de Mortier au bûcher ? Il faut bien le reconnaître, c'est Mortier qui a commencé. Comme à Salzbourg d'ailleurs Il a multiplié les provocations, invitant des metteurs en scène avant-gardistes dont je tairai le nom par charité pour faire des productions d'une laideur et d'une agressivité à hurler. Tous ceux qui sont allé à l'Opéra de Paris ces 5 dernières années comprendront de quoi je parle. Les gens qui vont a l'Opéra sont généralement moins remuants que des supporters de football, mais ils sont tout de même humains. Faut-il s'étonner que le public réagisse ? Faudrait-il mettre des robots à applaudir dans les fauteuils, des gens dépourvus de goût (bon ou mauvais qu'importe), de sensibilité, de personnalité, de préjugés, de culture (nécessairement bourgeoise donc haïe) ? Gérard Mortier me fait penser à un gosse qui balance un pavé dans une vitre et ensuite s'étonne d'avoir pris une raclée. Mais quand on cherche le public, on le trouve. Quand on le provoque, il réagit. Est-ce vraiment si surprenant ?

On ne trouvera pas plus de traces de modestie dans l'interview que de têtes nucléaires en Irak. Un exemple ? par mon action, le public grand-bourgeois du 16e arrondissement a diminué, et les mentalités ont changé. Quel homme ! Seul contre un million de parisiens friqués, il parvient à changer les mentalités. Le mot bourgeois figure cinq fois dans l'interview, celui de musique une seule fois. A chacun ses obsessions...

Quand à la musique justement... Gérard Mortier qui avait déclaré Je n'aime pas les maisons d'opéra dont la programmation est un cimetière où l'on paie chaque année des pots de fleurs, avait pour ambition de programmer plus de musique du XXè siècle. Certes, on a pu entendre des opéras d'Hindemith, Alban Berg ou Janacek, et avec grand plaisir, mais les créations se font toujours au compte-goutte. Faut-il rappeler que 20 années seulement séparent Wozzeck (1925) de Madama Butterfly (1904) ? Pour moi ces deux oeuvres font partie du répertoire, et ranger l'une dans les classiques et l'autre dans l'avant-garde n'a aucun sens. Néanmoins Wozzeck véhicule moins de valeurs bourgeoises, ce qui fait sans doute son charme aux yeux de Mr Mortier et ses coreligionnaires.

Si les avis quant à son bilan semble partagés, on peut se poser la question suivante: quelle est la principale qualité qu'on pourrait demander à son successeur ? J'en vois une: aimer la musique. Et faire passer cet amour de la musique avant toute autre considération. Servir les oeuvres qu'on joue et non se servir d'elles pour des buts extérieurs à l'art. Laissons la polémique, la politique, l'idéologie au vestiaire. L'opéra est avant tout le lieu où deux mille coeurs peuvent vibrer à l'unisson. Un bel opéra c'est un voyage de l'âme qui nous transporte au-delà de nous-mêmes. Pourvu qu'artistes et spectateurs acceptent ensemble de donner la première place à la musique, et à rien d'autre.

A lire sur le même sujet: le blog de Theobald et celui de Fomalhaut qui compare de façon détaillée et objective Hugues Gall et Gérard Mortier.

Commentaires

1. Le samedi 10 janvier 2009, 09:31 par zvezdo

allons allons allons ..... la différence entre Wozzeck et Madama Butterfly, c'est simplement et d'abord la fréquence à laquelle on peut le voir à l'opéra! et tu ne me vas pas me dire que Wozzeck est moins intéressant, moins spectaculaire que madame Butterfly

2. Le samedi 10 janvier 2009, 17:09 par Papageno

En fait la question n'est pas de dire si on préfère Berg à Puccini: c'est le goût de chacun (personnellement je préfère Berg). La question est de remettre en cause le discours selon lequel programmer Wozzeck est audacieux et avant-gardiste, alors que programmer Madame Butterfly est frileux et bourgeois. Je n'ai pas de statistiques mais en 2008 on pouvait entendre Wozzeck à Paris, à Bruxelles, en 2009 on pourra l'entendre à Londres, à Caen ou a Copenhague, bref ça n'est pas exactement l'opéra oublié que personne ne chante. C'est un opéra qui a été écrit il y a 90 ans, qui s'est imposé sur toutes les grandes scènes, en bref il fait partie du répertoire, indépendamment de toute considération stylistique ou politique. Nous dire "grâce à moi, l'opéra de Paris est à la pointe de l'avant-garde, on a même monté Wozzeck l'an dernier" c'est juste nous prendre pour des imbéciles.

3. Le samedi 10 janvier 2009, 21:06 par Theobald

"Pour qui travaille-t-il si ce n'est pour le public ?"

Qu'est-ce que vous voulez mon pauvre ami, on ne trouve plus de domestiques fiables de nos jours. Tout se perd.

4. Le samedi 10 janvier 2009, 22:00 par Papageno

Les propos de ce genre sur l'élitisme de l'opéra sont plus proches d'un fantasme pour nostalgiques de Bourdieu que de la réalité. Peut-être l'ignorez-vous mais il y a des gens comme moi qui habitent en banlieue, qui ne gagnent même pas la moitié du salaire de Mr Mortier, et qui vont à l'opéra, simplement parce qu'ils aiment la musique et le théâtre. On nous appelle les "classes moyennes" je crois.

Et la France n'est pas le pire endroit pour les amateurs d'opéra: contrairement à la Scala de Milan ou au Metropolitan de New York, l'Opéra de Paris a gardé des places à des prix accessibles. Et les autres théâtres lyriques en France sont souvent moins chers que celui de Paris. Il n'y a pas si longtemps, j'ai pu entendre "Lady Macbeth de Mnensk" à l'opéra de Massy, fort bien chanté et mis en scène, pour 45 euros. Pour mémoire le prix des places de la tournée d'adieu de Johnny Hallyday s'échelonnent entre 50 et 150 euros (et 350 euros à Monaco...)

5. Le dimanche 11 janvier 2009, 19:17 par zvezdo

Il ya un malentendu, je pense que tu n'as pas compris ce que Theobald signifie par "bourgeois".... c'est, si j'ai bien compris, avoir en tête sa conception propre du spectacle et se scandaliser par principe que toute nouvelle production ne soit pas une reproduction conforme de cette conception propre. Et c'est désagréable à dire et écrire, mais j'ai bien l'impression qu'une grande partie du public d'opéra, surintoxiqué de disque, est affligé de ce conservatisme rance.

Pour Wozzeck et Madame Butterfly, je ne suis pas convaincu par ta méthodologie et je persiste à penser que Wozzeck est moins souvent donné. Wozzeck, j'ai souvenir de l'avoir vu deux fois en 20 ans à Paris - la production de l'an passé et celle du Châtelet (Barenboim/Chéreau); est-ce beaucoup ? peu ? je tends à penser que c'est peu. Je garderai quelques très bons souvenirs de l'époque Mortier: le Saint François d'Assise mis en scène par Nordey, le Tristan d'il ya deux ans, quelques grands Janacek et Strauss, Ariane et Barbe Bleue cette année, par exemple. Il ya eu aussi l'opéra de Lachenmann, celui de Sciarrino, celui de Haas que tu avais vu.... Globalement ça ne vaut sans doute pas la grande époque Lissner au Châtelet, mais je trouve quand même que ça a été plus appétissant et plus varié que les gestions précédentes. Qu'as tu donc trouvé de si scandaleux ? L'Iphigénie de Warlikowski ? pour le coup il y avait de quoi se régaler en matière de musique.

6. Le dimanche 11 janvier 2009, 22:52 par Papageno

Il y a beaucoup de vrai dans ce que tu dis. Oui, l'opéra et le public de l'opéra sont trop conservateurs. Et on aimerait voir les opéras du XXe siècle et du XXIe siècle plus souvent. Personnellement je ne suis pas spécialement anti-Mortier (ni pro-Mortier), et quand un spectacle me plaît, si je ne me force pas à applaudir, je ne vais pas siffler ou crier, autant par respect des artistes que par simple politesse.

J'ai souvenir de quelques très bonnes productions à l'opéra de Paris (Cardillac, Melancholia). D'autres étaient moins convaincantes (Simon Bocanegra) mais pas nécessairement scandaleuses.

Concernant celles qui ont créé des incidents, il y a par exemple ce Parsifal où un extrait du film "Allemagne année 0" qui se termine par le suicide d'un adolescent était diffusé entre le 2e et le 3e acte. C'est un film très fort avec des images choquantes, qui n'a aucun rapport avec l'opéra de Wagner, il est donc compréhensible que le public réagisse. Il ne réagit pas de façon univoque d'ailleurs. L'extrait vidéo ci-dessous permet d'entendre ceux qui sifflent, ceux qui disent "chut" à ceux qui sifflent, ceux qui crient "Musique" pour réclamer la fin de la projection et le retour à l'opéra:

http://www.wat.tv/video/document-fa...

On peut juger les spectateurs malpolis, mais la réaction de Mr Mortier qu'on entend à la fin de la vidéo est encore bien plus violente. Et le public a l'air partagé entre ceux qui l'approuvent, ceux qui le huent, et ceux qui gardent prudemment le silence.

Et ce type d'incident s'est produit de manière récurrente. C'est toujours le même scénario: 1) la provocation gratuite 2) la réaction d'une partie du public 3) la faute au public. Il y a une absence totale de remise en question de son propre travail chez Mr Mortier: si le public a mal réagi, ça n'est pas à cause de la mise en scène, c'est la faute au public. Et même s'il n'y a que 50 personnes sur 2000 qui ont hué, c'est tout le public parisien qui est à mettre aux orties.

Et le lendemain on l'entend à la radio déclarer que le public parisien est "inculte et malpoli". Imagine-t-on le patron de la RATP déclarer à la télé que "tous les banlieusard sont des cons" après que quelques voyous ont dégradé un RER ?

7. Le lundi 12 janvier 2009, 23:51 par Theobald

Il y a comme dans tous les domaines, des phénomènes de mode. Et oui, Wozzeck est à la mode. Heureux celui qui une fois dans sa vie a eu la chance d'assister à une Butterfly de bout en bout admirable. Son souvenir peut le nourrir toute sa vie. C'est mon deuxième opéra préféré et je n'en verrai plus jamais de version scénique.
Les comptabilités acrobatiques de Fomlhaut ne me conviennent pas. Un directeur de théâtre n'a pas la mission d'en donner pour tous les goûts. C'est bon pour TF1 ça. D'ailleurs, c'est ça votre problème: Vous allez trop à l'opéra. Sortez un peu quoi !

8. Le mardi 13 janvier 2009, 01:47 par Éric

Theobald, je ne comprends pas bien vos deux dernières phrases : "D'ailleurs, c'est ça votre problème: Vous allez trop à l'opéra. Sortez un peu quoi !"
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"Un directeur de théâtre n'a pas la mission d'en donner pour tous les goûts. C'est bon pour TF1 ça."

Je ne suis pas d'accord avec vous, du moins pour les théâtres publics. Tous les français payent des impôts et, dans le monde idéal, il devrait exister suffisamment d'offres pour que chacun puisse y trouver son compte.
Quant à TF1, il n'en donne pas pour tous les goûts, il ne donne que dans le caniveau.

Concernant les adaptations "modernes" d'œuvres "classiques" qui mélangent les genres comme par exemple des inclusions de vidéos ou des acteurs en uniforme nazis pour des pièces antérieures à cette époque, je trouve cela vulgaire et pour tout dire insultant car c'est bien souvent prendre le public pour des imbéciles qui ne comprendraient la modernité de l'œuvre.
Je trouve ce mélange des genres regrettable pour la diffusion de l'opéra auprès d'un public plus large et il me semble que c'est certainement par facilité que l'on repeinturlure par ses nouvelles mises en scène ces œuvres déjà écrites avec ces rajouts inutiles plutôt que de privilégier des créations avec de nouveaux livrets et partitions.

9. Le mardi 13 janvier 2009, 14:18 par Theobald

Oui, vous allez trop à l'opéra. Allez-y moins, vous savourerez plus.

Ah, le coup des impôts...Il y avait longtemps. Si je vous faisais ma liste de ce que je désire pour Noël avec le prix de mes impôts hein ? D'ailleurs, voyez, j'ai des chats mais pas d'enfants, alors je refuse de payer pour les crèches. Non mais !

10. Le samedi 17 janvier 2009, 08:03 par DavidLeMarrec

C'est ce qui s'appelle tomber dans le panneau. :-)

Mortier est un très bon directeur d'Opéra, avec ses faiblesses comme l'idéologie des choix et le copinage ; mais toujours avec goût. Son véritable défaut est d'être très dépensier pour un luxe qui n'est pas toujours visible et de toujours laisser une maison rayonnante mais fauchée.

Dans le même temps, Mortier est le champion de la provocation gratuite, avec pour but ultime, manifestement, de faire parler de lui. Il serait inutile de lister les défis lancés à son public, les argumentations en dépit du bon sens (Meyerbeer c'est mou, Halévy c'est moderne ; Janáček c'est bien parce que ça dure juste le temps d'un bon film ; Lakmé ne raconte rien mais Aida nous parle du colonialisme, etc.).

C'est juste fait pour qu'on en parle, et effectivement on n'a jamais autant parlé de l'Opéra de Paris que sous sa direction.

A titre personnel, je trouve qu'on a eu droit à une très belle programmation, assez audacieuse, forçant un peu l'entrée du vingtième au répertoire.
Les premières années, il faut reconnaître, il est vrai, que les distributions des opéras du grand répertoire étaient (volontairement, je pense) un peu faibles par rapport au prestige du lieu.

Pour les mises en scène, je ne me prononce pas, j'en ai vu assez peu n'habitant pas sur Paris. De ce que j'ai vu, peu m'ont convaincu, c'est un fait. (Mais avant ce n'était pas mieux...)

11. Le samedi 17 janvier 2009, 08:06 par DavidLeMarrec

J'ajoute qu'il faut aussi prendre garde aux généralisations sur le public : pas mal des choses rares données ces dernières années étaient bien remplies. Faire une reprise de Cardillac ou de Louise, c'était d'ailleurs une politique assez courageuse.

Et le public n'est - Dieu merci - pas exclusivement constitué de glottolâtres, il y a aussi des gens qui aiment la musique ou le théâtre...

12. Le samedi 17 janvier 2009, 10:31 par Papageno

Mince alors, j'ai contribué au "buzz" et cédé aux vilaines provocations...

Cardillac était très réussi (j'y étais) la mise en scène d'André Engel transposait l'action du XVIè siècle aux années 1930 (période où l'opéra a été écrit) mais c'était bien vu et bien réalisé, et très bien reçu par le public. On peut en voir un petit extrait ici:

http://www.kewego.fr/video/iLyROoaf...

An final, je retiens le mot de "glottolâtre" qui va faire le bonheur de ma poétesse préférée, collectionneuse de mots rares.