Figment IV d'Eliott Carter pour alto seul

Voici un nouveau billet pour compléter la série consacrée au répertoire pour alto seul des XXe et XXIe siècles, série que j'ai tendance à négliger comme ce journal du reste, non par manque d'idées ou de matériaux mais plutôt de temps pour écrire des billets instructifs et parfois même drôles.

Il se trouve que je suis en ce moment en train de chercher des pièces écrites après 2000 pour un nouveau programme destiné à montrer la richesse et la diversité de ce qui s'écrit aujourd'hui. En 2011 il me semble en effet approprié qu'on arrête de considerer Webern ou Xenakis comme de la musique "contemporaine". En essayant d'inculquer quelques notions à mes filles qui sont maintenant adolescentes, je me suis rendu compte qu'il leur est très difficile de se figurer les enjeux d'évènements historiques comme la crise des missiles de Cuba ou la chute du Mur de Berlin. Ou la teneur des débats entres jésuites et jansénistes autour de la grâce nécessaire et la grâce suffisante du temps de Blaise Pascal. Il est tout aussi difficile pour un jeune musicien de se figurer ce que les débats qui agitaient les compositeurs de l'ère post-sérielle au début des années 1960 peuvent avoir d'actuel. Le vingtième siècle, avec ses stars, ses courants esthétiques, ses chefs-d'oeuvres et ses scandales, est maintenant derrière nous. Place à la musique d'aujourd'hui, c'est à dire au vingt-et-unième siècle !

Cela étant posé, c'est une courte pièce écrite en 2007 par un jeune homme qui venait de fêter ses 99 ans que j'aimerais vous présenter aujourd'hui: Figment IV d'Eliott Carter. Le terme figment fait référence à l'imagination, comme le révèle l'exemple choisi par le Merriam-Webster pour l'illustrer:  unable to find any tracks in the snow the next morning, I was forced to conclude that the shadowy figure had been a figment of my imagination. On pourrait donc traduire ce titre par Invention ou Fantaisie. Elle est dédiée à Samuel Rhodes. Le chiffre IV indique que cette pièce fait partie d'une série ou l'on trouve actuellement deux pièces pour violoncelle, une pour contrebasse, et une pour marimba.

Dans ce qu'on pourrait appeler un style sériel libre, Carter fait chanter l'instrument de manière aussi simple qu'efficace. Il arrive à échapper à toute banalité en n'utilisant que les ressources nobles de l'instrument (le jeu de l'archet, sans abus des modes de jeux exotiques du type col legno, sul pont, etc). Si vous ne me croyez pas écoutez donc cette version postée sur Youtube par l'excellent John11inch (mais dont on ne connaît malheureusement pas l'interprète):

Chapeau, monsieur Carter. Thumb up. Pas de félicitations en revanche pour Boosey & Hawkes qui m'ont fait commander sur internet, envoyer un mail, recevoir un formulaire, le renvoyer par la poste, et payer 21 euros pour 2 pages de partitions. Ceux-là n'ont manifestement pas compris qu'on est au vingt-et-unième siècle et qu'il existe un format de fichier appelé PDF.

Je reprendrai cette série prochainement avec György Kurtág, lequel a publié non pas une mais une vingtaine de pièces pour alto seul dans un recueil intitulé Jeux, Signes, Messages en 2005.

Commentaires

1. Le mercredi 26 octobre 2011, 15:39 par Éric

Bonjour Papageno,

Tout d'abord, est-il besoin de le préciser, j'ai une culture musicale très limitée mais je tente tout de même une remarque.

En introduction, vous précisez souhaiter nous présenter des œuvres "contemporaines" du XXIe siècle pour tourner la page en quelque sorte du XXe, très bien. Mais patatras, vous enchaînez sur un compositeur né au XIXe - si l'on considère que le XXe a commencé en 1914. ;)
Pour tenter de vous donner matière à m'éclairer, pensez-vous qu'une œuvre écrite certes en 2007 mais par un homme qui a réalisé le principal de son travail au XXe soit représentative du XXIe.
Est-il possible pour ce "créateur", qui doit mettre autant de soi dans ses œuvres, de se renouveler, à moins de puiser son inspiration chez des auteurs plus récents ou plus originaux (et donc commencer votre recherche par ceux-là). Sans vouloir faire de jeunisme (je suis plus âgé que vous), ne faut-il pas se tourner vers des auteurs, non pas plus jeunes, mais dont le parcours créatif commencerait plus récemment ?

Ceci dit, je pense que le XXe siècle n'est pas encore terminé et que par conséquent, il reste judicieux de dire de Webern ou Xénakis qu'ils sont des auteurs contemporains.

Pas mal hein pour un gars qui n'a jamais rien entendu de Webern et Xenakis ?... Ah ah ah... Mais ai-je les capacités ou les connaissances suffisantes pour pouvoir les écouter ?

Avec mes excuses.

2. Le mercredi 26 octobre 2011, 17:13 par roch

Ma définition de la musique "contemporaine" est très simple et très égocentrique : tout ce qui a été écrit après 1950, l'année de ma naissance, est de la musique contemporaine !
Donc Webern n'est pas (mon) contemporain alors que Xenakis l'est !
Mais ces étiquettes n'ont aucune importance ...
J'attends avec impatience vos notes sur Kurtág.

3. Le mercredi 26 octobre 2011, 21:47 par Papageno

@Eric: vous avez deux oreilles, c'est vraiment la seule chose qui soit nécessaire pour écouter la musique, d'hier ou d'aujourd'hui. Ayez confiance en votre jugement, et n'éprouvez jamais aucun complexe devant des gens apparemment plus cultivés: tout comme les "experts" oenologues, ils se fient davantage à l'étiquette qu'au contenu, et il est souvent très facile de les piéger avec des tests à l'aveugle.

@Roch: Il est tout à fait exact que Carter appartient à la génération de mes grands-parents (1908 est l'année de naissance d'un de mes grands-pères) et que tout comme Richard Strauss il semble destiné à défier le découpage en "tranches" chronologiques qu'affectionnent les musicologues.

On pourrait à juste titre considérer qu'il n'a pas tellement renouvelé de style depuis les années 1970; cependant la vitalité qui se manifeste dans ses oeuvres récentes est tout simplement admirable.

4. Le jeudi 27 octobre 2011, 14:41 par roch

J'avais été effectivement emballé par la "vitalité admirable" de "On conversing with paradise" d'Eliott Carter écrite très récemment !