samedi 11 septembre 2010

Les sonates pour violon et piano d'Olivier Greif à Paris le 13 septembre 2010

Lundi 13 Septembre prochain à 20h, au théâtre de l'Athénée-Jouvet à Paris, aura lieu un  récital de Stéphanie Moraly (violon) et Romain David (piano). Au programme la 1e et la 3e sonate d'Olivier Greif, "The Meeting of the Waters", dont ces deux interprètes ont réalisé le premier enregistrement discographique (chez Triton, un disque dont nous reparlerons sans doute dans ce journal).

Au programme également, la sonate de Franck ainsi que des pièces de Milhaud et Chostakovitch.

On ne saurait trop recommander ce concert qui constitue une occasion privilégiée d'entrer dans la musique de Greif, servie par un magnifique duo dont le jeu passionné et inspiré ne peut pas laisser indifférent.

jeudi 2 septembre 2010

Il aime le piano (Le roman du piano, par Dieter Hildebrandt)

Le titre de ce billet est un délicate allusion à un précédent article sur cette étrange bête qu'on appelle un piano. Dieter Hildebrandt y a consacré tout un livre, intitulé dans la version originale, Pianoforte: Der Roman des Klaviers im 19. Jahrhundert, suivi d'un deuxième livre: Piano, piano ! Der Roman des Klaviers im 20. Jahrhundert. Les deux tomes ont été rassemblés en un seul dans la traduction française de Brigitte Hébert, Le Roman du piano (chez Actes Sud, collection Babel).

Ce livre est l'ouvrage d'un mélomane et non d'un musicologue. C'est assez dire s'il est drôle, inventif, décalé, et réjouissant à lire. Le style est assez brillant, l'ironie suffisamment discrète pour qu'on puisse y échapper si on n'est pas assez attentif. Quoiqu'un peu trop centré à mon goût sur le romantisme Allemand (mais le romantisme musical a-t-il jamais eu d'autre patrie que l'Allemagne ?), cette étude ou plutôt cette promenade érudite nous invite à examiner le piano sous tous les angles. Les grands virtuoses et compositeurs y côtoient les jeunes filles de bonne famille dont l'apprentissage du piano est un signe distinctif; les anecdotes, caricatures et pastiches voisinent avec des considérations plus sérieuses sur les bouleversements de la musique et de la société au XIXe siècle. De la facture de l'instrument au statut de l'artiste, des conseils bienveillants de pédagogues comme Czerny aux talents d'improvisateur du jeune Beethoven, cette étrange boîte à touches qui a occupé une place tellement dominante dans la musique occidentale jusqu'à l'arrivée du disque est disséquée sans aucune rigueur scientifique, ce qui n'est pas un défaut, bien au contraire. La multiplicité des points de vue et des approches (musicologique, sociologique, mécanique, historique) permet de mieux saisir la personnalité complexe de l'instrument, et la fulgurance de certaines remarques peut pousser le lecteur à s'interroger à son tour: qu'est-ce qu'il a de spécial, ce pianoforte ? Cette boîte trop grande pour être transportée, mais suffisamment petite pour trouver sa place dans un salon (contrairement à l'orgue) ? Ce clavier noir et blanc qui réduit ou veut réduire toute la musique à quatre-vingt-huit touches ? Cet objet massif à la mécanique sophistiquée qui a été le confident et le consolateur de Schubert, Chopin, Liszt, et tant d'autres ? Cet instrument en apparence si simple (il suffit d'enfoncer une touche pour produire un son) et en réalité si difficile à maîtriser ?

La grande épopée romantique du piano se poursuit aux XXe siècle. On y croisera aussi bien de grands interprètes comme Horowitz ou Gould que les pianistes de jazz et bien sûr les compositeurs: "Boulez guillotine Schönberg" et "le Dieu des compositeurs joue au dé" (Stockhausen), "le clavier bien préparé" (Cage), voici seulement quelques-uns des sous-titre de cette histoire en diagonale du clavier à marteaux, qui se termine comme de juste par un chapitre sur l'improvisation. Manière de dire que tout reste possible...

Le style est alerte, on ne s'ennuie pas une seconde à lire ce petit pavé de presque 500 pages. Je vous invite à consulter cet extrait disponible en ligne pour vous en convaincre et vous recommande chaleureusement la lecture, non sur la plage car c'est un peu tard maintenant que les enfants sont rentrés à l'école, mais au coin du feu, pour occuper les longues soirées de la Toussaint. Et finir en beauté cette année 2010 qui avec les bicentenaires de Chopin et Schumann aura plus que jamais remis le piano à l'honneur.

vendredi 6 août 2010

Le miel inaltérable... pour deux pianos par Pascal Devoyon et Rikako Murata

Le 3 août dernier a eu lieu la création d'une pièce pour deux pianos que j'ai écrite pour Pascal Devoyon et Rikako Murata ("le miel inaltérable..." basé sur un poème de Yourcenar). J'ai découvert ces pianistes il y a deux ans et j'ai tout de suite été séduit par la finesse sonore, la perfection technique, la complicité qui les unit et le plaisir tout à fait communicatif qu'ils partagent avec le public. Le journal de Papageno consacre d'ailleurs un article à l'un de leurs disques. Pour le dire en un mot, ils m'ont fait aimer un répertoire et une combinaison instrumentale qui ne m'était pas familière du tout: le duo de pianos.

Aussi est-ce tout naturellement que je leur ai envoyé la partition de ma première pièce pour deux pianos, en avril dernier. J'ai été agréablement surpris lorsqu'ils m'ont répondu qu'ils aimaient bien cette pièce et qu'ils la programmeraient au festival Musicalp 2010 à Courchevel. Lors d'une répétition précédant le concert, et bien que je m'attende au meilleur, j'ai été soufflé: il n'y avait pas une note qui ne soit parfaitement à sa place, pas une indication de détail qui ait été omise. J'aime laisser aux interprètes autant d'autonomie que possible, mais c'est tout de même la première fois que la seule remarque qui me vienne soit: "C'est très bien. Ne changez rien". Le concert s'est déroulé tout aussi bien, très convivial, beaucoup de monde, interprétation parfaite. En plus des félicitations d'usage, il m'a surtout permis de nouer des contacts avec par exemple Sang Jin Kim, un excellent altiste qui programmera peut-être mon quatuor d'altos en Corée.

"Un compositeur qui montre son oeuvre est comme un enfant qui montre un dessin". Si c'est un bien modeste cadeau que j'avais fait à Pascal Devoyon et Rikako Murata, c'en est un bien plus grand que j'ai reçu en retour avec cette création qui fut un très bon moment. Et leur générosité ne s'arrête pas là puisqu'ils m'ont donné l'autorisation de partager avec vous un petit bout de MP3-souvenir:

N'hésitez pas à vous joindre à moi et à leur envoyer un petit mot de félicitations par courrier électronique si vous appréciez leur travail.

jeudi 8 juillet 2010

Le nombre d'or dans la musique de Jean-Sébastien Bach

Pour dire vrai j'ai hésité avant de publier ce billet, car le sujet est un peu piégé. Le nombre d'or est en effet brandi comme une sorte de talisman par toutes sortes de charlatans, numérologistes, astro-bullshitologues et autres magnétiseurs de chacras. Et de l'autre côté, les rapports numériques dans la musique de Jean-Sébastien Bach ont eux aussi été amplement analysés, parfois pour y trouver des relations numériques tellement lointaines qu'on peut bien se demander si elles ne sont pas le produit d'un pur hasard. Les gens qui trouvent le nombre d'or partout dans la musique de Bach sont pour moi un peu comme ceux croient avoir 'décodé' une prédiction des attentats du 11 septembre 2001 dans la bible: hautement suspects de quadrapilectomie (art de couper les cheveux en quatre), voire bien pire que cela. C'est ainsi que je recommanderai la lecture de "Bach ou La passion selon Jean-Sébastien: de Luther au nombre d'or" de Guy Marchand uniquement aux adeptes de ces petits jeux  ésotériques.

Cela dit, il ne fait aucun doute que Bach sait jouer avec les nombres et les lettres en musique. Il a écrit une fugue sur le thème musical B-A-C-H (en français si bémol - la - do - si), également utilisé comme signature dans l'Art de la Fugue. La première fugue du Clavier bien tempéré comporte exactement 24 entrées du thème principal: on peut y voir une annonce des 24 préludes et fugues du recueil, même si toutes les fugues classiques comptent une vingtaine d'entrées du thème. On trouve ailleurs des utilisations du nombre 14 = B + A + C+ H = 2 + 1 + 3 + 8 ou encore du nombre 3 dans les cantates consacrées à la Trinité.

Au fait, qu'est-ce que le nombre d'or ? Il y a plusieurs manière de le définir: j'ai choisi celle du rectangle qui est assez parlante intuitivement. Imaginez un rectangle dont le petit côté mesure 1 mètre et le grand côté φ mètres. On veut ajuster φ de manière à ce que si on enlève un carré de 1m x 1m, on obtient un rectangle plus petit mais dont les proportions sont les mêmes. Autrement dit: φ = 1/(1-φ) ou bien φ^2 = φ + 1. En tâtonnant un peu on voit que 8/5 = 1.6 est un peu trop petit tandis que 1.66 = 5/3 est un peu trop grand. La solution est un nombre irrationnel φ = 1.618... . En Grèce ancienne, où les mathématiques étaient surtout basée sur les rapports de nombres entiers, le nombre d'or fascinait au même titre que π ou que la racine de 2 car c'est un nombre irrationnel qui intervient dans une construction géométrique simple. Le nombre d'or est celui des proportions harmonieuses qu'on peut trouver dans la nature, ainsi qu'on peut le voir avec cette très élégante 'spirale de Fibonnacci' qui est construite en itérant plusieurs fois le découpage du rectangle doré que nous avons décrit plus haut: Fibonacci_spiralpng.png

Construisons maintenant une série dont chaque terme est la somme des deux précédents:

1+1 = 2

1+2 = 3

2+3 =5

3+5 = 8

5+8=13

8+13=21

13+21=34

21+34=55

34+55=89

...

Pour continuer avec les rectangles, chaque addition correspond à la construction d'un rectangle (a+b, a) à partir du rectangle (a,b). Je vous épargne la démonstration (ressortez vos cours de maths de terminale ou cherchez sur Internet au besoin) mais il me paraît intuitif que le rapport entre deux nombres successifs de cette série de Fibonacci tend vers le nombre d'or. De fait on peut vérifier que 89/55=1.618... donne déjà trois décimales exactes.

Fort bien, et la musique de Bach dans tout ça ? Eh bien on y trouve des ratios proches du nombre d'or, ce qui peut contribuer à lui donner un aspect à la fois vivant et harmonieux. Pure spéculation théorique ? Regardons plutôt un exemple, le premier prélude du Clavier bien tempéré (premier livre):

Ce prélude est très connu, et sa grande simplicité le rend accessible même aux pianistes débutants. Pourtant le motif rythmique utilisé est tout à fait original. Les huit double croches s'organisent en 2+3+3, ou 5+3 si l'on veut. 2, 3, 5: les premiers termes de la série de Fibonacci. Cette structure rythmique permet d'éviter la décomposition binaire 8 = 4+4 = 2+2+2+2 qui donnerait quelque chose de beaucoup plus mécanique et répétitif.

En voici la preuve par l'oreille: j'ai testé trois variantes où l'on conserve les mêmes notes en les organisant par groupes de 4:

(deuxième variante)
(troisième variante)

Le résultat est beaucoup plus banal et ennuyeux que le prélude original. Il y manque ces appuis légèrement décalés qui en font tout le charme. Ainsi la note supérieure (mi dans la première mesure) apparaît sur les 5e et 8e doubles croches ce qui peut donner l'impression d'un rythme pointé ("croche pointée double") qui vient ponctuer le flux de doubles croches. Est-ce tout ? Bien sûr que non. Ce prélude comporte 34 mesures (si l'on exclut la mesure finale qui comporte uniquement l'accord d'ut majeur). Or si la basse descend constamment jusqu'à la mesure 21 (fa, IVe degré) avant de remonter vers une pédale de sol (Ve degré) qui amère la conclusion. 34=21+13, les proportions de ce prélude sont aussi parfaites que celles de la Venus de Milo ou que l'homme de Vitruve.

On trouve une structure rythmique similaire dans le Prélude de la première Suite pour violoncelle seul. Bien qu'on ne possède pas d'autographe de ces suites mais seulement une copie de la main d'Anna-Magdalena (copies dont on sait qu'elles ne sont pas toujours très fiables pour certains détails comme les liaisons), on peut considérer la liaison des trois premières notes comme fiable. On retrouve à nouveau une répartition 8 = 3 + 5 qui dynamise le rythme des doubles croches en évitant un débit trop uniforme. Il est important dans cette Allemande de respecter les liaisons. Écoutez pour vous en convaincre la version écrite (3 liées, 5 détachées):

Et une autre version où les notes sont liées par quatre, ce qui est suffisant pour rendre la musique beaucoup plus banale:

Il y aurait bien d'autres choses à dire sur les proportions dans la musique de Bach (et pas seulement la proportion dorée) mais je m'en tiendrais à ces remarques préliminaires. J'espère avoir tout de même montré que l'équilibre parfait des proportions qui crée tout le plaisir à l'oreille apparaît dans bien des situations comme voulu et même calculé par Bach qui plus que tout autre musicien, ne laissait rien au hasard.

Nous reparlerons sans doute dans ce journal nombre d'or qui a été utilisé par bien d'autres musiciens, de Dufay à Bartok et Xenakis. Et qui peut intervenir non seulement dans les proportions rythmiques mais aussi dans l'harmonie.

samedi 26 juin 2010

Tedi Papavrami joue Bach

Nous avons déjà beaucoup parlé des transcriptions dans ce journal. En voici une particulièrement réussie, tant par l'écriture que par l'interprétation: la Fantaisie et Fugue BWV 542 de Jean-Sébastien Bach, arrangée au violon seul par Tedi Papavrami:

mercredi 23 juin 2010

Fugue sur le nom de Dimitri Chostakovitch

Cette fugue est un pur exercice scolaire, dans la mesure où elle a été réalisée pour le cours d'écriture au conservatoire de Liège, où j'ai profité des excellents conseils du pianiste et compositeur Marcel Cominotto. Les sujets et contre-sujets de cette fugue sont basés sur la cellule suivante:

C'est la signature musicale de Dimitri Schostakovitch. (Rappelons que la notation allemande utilise des lettres pour les notes de la gamme, avec B = si bémol et H = si bécarre. Pour le S il y a une astuce car Es = mi bémol). Le compositeur russe (ou devrais-je dire soviétique) l'a utilisé notamment dans son excellent Huitième quatuor.

Ce blog n'est pas le lieu pour publier une longue auto-analyse de l'oeuvre, et ce d'autant plus que je trouve les auto-analyses des compositeurs en général barbantes, qu'il est tard et qu'il faudra se lever tôt demain pour emmener les enfants à l'école. J'invite seulement les lecteurs de ce blog à remarquer que j'ai très peu fait usage dans cette pièce des modes de jeux spéciaux (col legno, sul pont, tremolo, glissando, ...). Non que je n'aime pas ça, bien au contraire: je crois avoir écrit récemment dans ce journal que les recherches sur le son me passionnent et je n'ai rien contre le contemporain qui pique et qui gratte. Mais au fur et à mesure que j'avançais dans ce projet d'écriture s'est imposée à moi la nécessité, pour cette pièce, d'utiliser peu d'artifices, d'exploiter surtout les ressources nobles des instruments et le développement du contrepoint pour créer une atmosphère, introduire des ruptures et raconter une histoire.

A quel point j'y ai réussi, c'est à vous d'en juger. Vous pourrez le faire grâce à un enregistrement réalisé selon la méthode scientifique bien connue de la RACHE par mes amis et complices du quatuor Hypercube. Un grand merci à Fanny, Benoît et Stefano, et s'il vous plaît un peu d'indulgence pour les interprètes qui ont eu très peu de temps pour travailler cette partition:

La partition sera publié très bientôt est maintenant disponible sur le site Tamino Productions. Dernier point, la plupart des gens entendront cette partition comme atonale bien que je l'entende le plus souvent en si mineur et qu'elle se termine sur un accord parfait. Est-ce de la musique post-moderne, anti-réactionnaire ou bien néo-tonale ? Peut-être est-ce tout simplement de la musique.

samedi 19 juin 2010

Tempête dans un verre d'eau

Des articles dans la presse (Le Monde, Télérama, le Nouvel Obs), une pétition adressée au ministre de la Culture, un un groupe Facebook au nom ridicule, une contre-pétition signée par quelques stars comme Pascal Dusapin et Hugues Gall, mais au fait de quoi s'agit-il ? De la promotion 2010 des pensionnaires de la Villa Médicis. Celle-ci accueillera quatre musiciens:

Seul le quatrième a un parcours "classique" si j'ose dire: passé par le CNSM, élève de Gérard Grisey et Marc-André Dalbavie. Les trois autres ont manifestement été recrutés par le nouveau directeur de la villa Médicis dans l'idée d'ouvrir la vénérable institution (créée par Colbert en 1666 sous Louis XIV) à une certaine diversité de style. Ces intentions de la direction sont tout à fait explicites si l'on considère les termes choisis dans le communiqué de presse publié sur le site de la Villa Médicis: 4 compositeurs de musique : deux compositeurs de musique contemporaine dont un est associé à un compositeur de jazz ainsi qu’une compositrice de musiques actuelles. Sans faire une analyse stylistique poussée, on peut noter le pluriel tout à fait savoureux à musiques actuelles.

Il va sans dire que je n'ai pas signé la pétition des compositeurs contemporains qui condamnaient ces nominations. Même parmi ses signataires, certains ont bien senti le piège, comme on peut le voir dans les commentaires su dite Musique en vrac. Citons par exemple celui d'Edith Canat de Chizy:

Quitte à me répéter: cette nomination est un "coup" médiatique certainement préparé depuis longtemps. Pour montrer que la musique dite "savante" s'est enfermée elle-même et qu'il faut un "sang" neuf pour la régénérer!
C'est une provocation extrêmement blessante pour nous et aussi la porte ouverte vers une vulgarisation extrême de la culture.

Je n'ai pas signé car il est totalement stupide d'opposer les musiciens les uns aux autres et parce que le système institutionnel dont la villa Médicis n'est qu'un des maillons tend à enfermer la musique contemporaine dans un ghetto. Mon point de vue rejoint complètement celui que Pierre Sauvageot a développé dans une tribune publiée sur le site Rue89. Ne comptez pas sur moi pour défendre les 4 places annuelles à la villa Médicis comme une espèce de droit syndical acquis pour les anciens du CNSM. Et ce d'autant plus que je ne fais pas partie des anciens en question !

Pour que mon opinion personnelle soit claire, le peu que j'ai écouté de la musique de Claire Diterzi ne m'a pas enthousiasmé du tout. Tableau de Chasse par exemple est un sympathique navet qui s'oublie aussi vite qu'on l'a entendu. J'ai vraiment du mal à trouver ce qui pourrait être considéré comme original dans la ligne vocale simplette, l'accompagnement basé sur 3 accords, la voix sans timbre et sans charme façon Carla Bruni. Mais cet avis n'est pas partagé par tout le monde. Télérama écrit par exemple que c'est la créatrice la plus audacieuse de la scène pop française actuelle. Même si je plains cette pauvre scène pop de ne pas avoir mieux en stock, je ne vois rien à redire au fait que le ministère de la culture soutienne une artiste qui a l'air reconnue et respectée. Surtout si l'on considère que le même ministère a invité Bruno Mantovani qui a composé en 2005 villa Médicis, entre autres, une pièce pour alto seul aussi longue qu'inintéressante, et qui certainement a touché et touchera un public beaucoup moins nombreux que les chansonnettes de Claire Diterzi, en lui causant un plaisir combien moins grand.

Contrairement à ce que disent les signataires de la pétition, le rôle de l'État n'est pas de soutenir un type de musique particulier (au prétexte que cette musique n'est pas commerciale et a donc besoin de soutien) mais plutôt d'encourager la créativité dans tous les domaines et tous les styles avec l'indifférence bienveillante d'un Buddha ventripotent et doré.

Je vais même aller plus loin comme avocat du diable. Supposons qu'un inconnu notoire et incapable complet soit admis comme pensionnaire. Une place à la villa Médicis, c'est un CDD de 12 ou 24 mois payé 3200 euros par mois plus l'hébergement gratuit. Si gaspillage il y a, le gaspillage d'argent public est assez limité. Surtout si on le compare à la subvention annuelle de l'Opéra de Paris où aux 5 millions nécessaires pour rénover ces affreuses colonnes de Buren.

Du temps où le prix de Rome existait encore, la villa Médicis accueillait surtout des étudiants d'une vingtaine d'années (le règlement précisait même qu'ils ne devaient pas être mariés) qui était sélectionnés par des épreuves rigoureuses mais affreusement scolaires de contrepoint. Avoir le prix de Rome ne signifiait pas du tout qu'on était un artiste créatif et original, mais simplement qu'on avait reçu une solide formation. Les prix de Rome ne se dédiaient pas tous à la composition, tant s'en faut: on trouvait parmi eux des pianistes, chefs d'orchestre, pédagogues, directeurs de conservatoires, etc. Depuis la réforme Malraux en 1969 le concours a été supprimé et le profil comme le recrutement des candidats a radicalement changé. Extrait de la notice sur le conditions d'admission à la Villa Médicis:

Le profil du candidat
La sélection ne s'adresse pas à des étudiants mais à des personnes déjà engagées dans la vie professionnelle et recherchant à Rome un complément d'expérience, un perfectionnement de formation ou la poursuite d'une recherche dans le cadre d'un dialogue franco-italien.

Les candidats doivent avoir entre 20 et 45 ans, et les quatre musiciens sélectionnés cette année sont tous des quadragénaires et des professionnels confirmés. Le passage à la villa Médicis leur offre davantage une sorte de consécration institutionnelle qu'un stage de fin d'études.

Il y a quarante ans, lors de la réforme Malraux, certains posaient la question: à partir du moment où le concours est supprimé, qu'est-ce qui empêche de recruter un chanteur de variétés à la villa Médicis ? La réponse, nous venons de l'avoir: rien. Dernière question: est-ce que c'est vraiment un drame ?

jeudi 10 juin 2010

Papy fait de la résistance

Le titre de ce billet est mauvais, trouvez-vous ? Il n'est pas de moi mais de Renaud Machart: c'est la phrase qui conclut l'article (mais peut-on appeler ça un article) publié dans le Monde à propos du double concert-anniversaire les 27 et 28 mai derniers à l'occasion des 85 ans de Mr Boulez.

De musique, il n'est guère question dans ce papier qui n'y consacre pas plus de deux lignes, uniquement pour qualifier de conventionnellement ancrées dans une sinistre esthétique d'avant-garde "fin de siècle" la musique de Jean-Baptiste Robin et Helen Grimes. Ceux qui voudraient se faire une idée du concert seraient bien mieux inspirés de lire les blogs comme celui de Palpatine (partie 1 et partie 2) plutôt que les compte-rendus de la presse officielle. Palpatine n'hésite pas à écrire qu'il n'aime pas telle ou telle pièce (il écrit par exemple: imaginez qu'une armée de nain mette le zouc dans votre cuisine, et tape sur les casseroles à propos Notation II - "Très vif-strident") mais il admet que l'on puisse penser différemment, et livre ses impressions en toute indépendance et sans arrière-pensée. Ce qui constitue deux différences majeures par rapport à la critique officielle, et c'est bien pour cela que je ne lis quasiment plus que les blogs.

Non, l'essentiel à retenir de ces deux soirées-là n'était pas la musique, bien que Bartok, Varèse, Berg, Webern, Messiaen, Berio, Carter, Donatoni, Stockhausen, Kurtag soient mobilisés pour l'occasion. Excusez du peu ! L'essentiel c'est que Mr Boulez est passé de mode, et que les musicographes qui s'en défendaient bien jusqu'à présent se sentent désormais autorisés à en dire du mal.


Les critiques musicaux sont encore plus moutonniers que les analyses financiers ou les agences de notation: lorsque ces derniers vous disent "achetez", le titre a déjà tellement monté qu'il est devenu trop cher; et lorsque les critiques musicaux vous disent "le contemporain radical et avant-gardiste est passé de mode", cela fait déjà 30 ans que les compositeurs ont massivement effectué le virage. Et ceux qui ne l'ont pas effectué peuvent être taxés d'un certain "conservatisme contemporain", oxymore savoureuse s'il en est. 

Du reste qu'est-ce que la modernité ? Si être moderne c'est être de son temps alors les musiciens des années 1950, après la grande destruction des guerres mondiales et dans une période d'essor économique et démographique sans précédent, avaient toutes les raisons d'écrire une musique audacieuse qui se projetait vaillamment vers un futur forcément meilleur. Et ceux des années 2000, où les crises succèdent au crises, qu'elles soient environnementales, morales ou économique, où la morosité domine, ont toutes les raisons d'écrire un musique régressive, qui se retourne vers le passé et se caractérise surtout par ce qu'elle n'ose pas.

Restons-en là pour l'instant avec cette éternelle querelle des anciens et des modernes, qui fait couler beaucoup d'encre mais ne dit rien sur la musique elle-même. L'histoire montre que la musique bien écrite, quelle que soient le positionnement esthétique de son créateur, s'impose d'elle-même dans le répertoire.

Il est fort peu probable que Pierre Boulez ou ses proches lisent le blog d'un musicien débutant et insignifiant comme moi. Néanmoins si cela arrivait j'en profiterais d'abord pour lui transmettre tous mes vœux de bonheur et de santé à l'occasion de son 85e anniversaire, et pour le remercier sincèrement et chaleureusement de tous les efforts pour défendre encore et toujours la musique d'aujourd'hui, la sienne comme celle des autres, en refusant tout compromis. Le terme de résistant employé de façon ironique et péjorative par le critique du Monde n'est peut-être pas si mal choisi.

lundi 7 juin 2010

Concert Trouvères mardi 8 juin 2010 à l'ENS

J'ai le plaisir de vous inviter au prochain Concert Trouvères qui prendra place à l'ENS (45 rue d'Ulm Paris, Salle des Actes, 1er étage à droite) le mardi 8 juin à 20 heures, c'est à dire demain ! Avec le pianiste et compositeur Thomas Lavoine, nous jouerons la Suite Hébraïque d'Ernst Bloch ainsi que Huit Miniatures pour alto et piano de ma composition dont ce sera la première audition publique en France.

L'édition du programme ayant pris un peu de retard, je n'ai pas encore le détail de ce que joueront mes amis des Trouvères. Disons que c'est un concert surprise pour célébrer la fin de l'année universitaire !


mercredi 2 juin 2010

Happy Seventies à la philharmonie de Liège

Il n'y a pas beaucoup de conservatoires où l'on propose aux élèves de monter un programme Kagel-Berio dans le cadre de la classe de musique de chambre. C'est pourtant bien ce qui se passe au conservatoire de Liège, où l'esprit d'Henri Pousseur semble encore souffler. Sous le titre Happy Seventies ! et avec une belle affiche haute en couleurs, les jeunes musiciens nous proposaient le 31 mai dernier de redécouvrir cette musique qui a été contemporaine (pour nos parents) et commence maintenant à s'installer dans le répertoire.

En première partie, Exotica de Mauricio Kagel. Comme son nom l'indique, c'est une œuvre destinée aux instruments extra-européens. Lorsque les spectateurs arrivent, les neuf musiciens, déguisés en hippies pour la circonstance, sont déjà sur scène, assis en tailleur, silencieux. Le public s'installe non dans les fauteuils de la salle philharmonique mais sur les gradins normalement destinés à l'orchestre. La partition (à laquelle j'ai pu jeter un coup d'oeil après le concert) ne comporte en fait aucune indication d'instrumentation: il y a six fois deux portées, la première portée étant pour le chant et la deuxième pour les instruments à hauteur déterminée ou non. C'est donc aux interprètes d'utiliser les instruments à leur disposition et de sélectionner les combinaisons instrumentales qui sonneront bien. Parmi les instruments prêtés par le Music Fund pour le concert: un duduk (qui s'apparente à notre hautbois), des flûtes de toute taille, une trompette sans pistons, et de la percussion bien sûr. Il n'y a apparemment pas de paroles mais uniquement des syllabes sans signification ou encore des enchaînements de voyelles (par exemple A-E-I-O)

Malgré le charme des instruments aux sons étranges et familiers à la fois (avec la radio, la télévision, le cinéma, et pour finir internet, les occasions d'entendre les musiques du monde comme on les appelle aujourd'hui ne manquent pas), cette Exotica traîne un peu en longueur et les chants et danses enregistrés qui sont diffusés en sus de la musique jouée sur scène paraissent bien peu nécessaires. Il l'étaient peut-être davantage il y a 40 ans lorsque cette œuvre a été créée. Par ailleurs les musiciens jouent en rythme et chantent juste, sans être forcément des chanteurs ou des percussionnistes, et le son n'a pas toujours l'intensité, la chaleur ou l'aisance qui viennent seulement après une longue pratique.

Après un entracte, c'est Laborintus II (1965) de Luciano Berio que nous pouvons entendre, et qui est d'une toute autre portée que le sympathique mais superficiel Exotica. Commençons par décrire le plateau. Au premier rang, les instruments par groupes de trois: violoncelles et contrebasse, clarinettes, trompettes, trombones. Également au premier rang, une récitante munie d'un micro et une flûtiste sur une estrade. A gauche et à droite, disposés symétriquement, deux harpes et deux percussionnistes. Derrière, les chanteurs et récitants. Enfin des hauts-parleurs qui diffuseront autant les voix parlés et chantées que la partie de 'bande magnétique' qu'on entend dans la deuxième moitié.

C'est la voix sous toutes ses formes (criée, parlée, chantée, murmurée, chuchotée) est le moteur de de Laborintus, laboratoire ou labyrinthe de sons étranges et beaux. Les textes en italien se mélangent et se superposent: Sanguineti, Dante, extraits de la bible. Certains passages sont tellement volubiles et agités qu'on se croirait dans une scène de foule d'un vieux film de Fellini, d'autres sont plus calmes. Berio a utilisé et mélangé des matériaux de toute sorte pour cette pièce: on peut y distinguer aussi bien des allusions au free jazz qu'à l'opéra italien. Une improvisation est d'ailleurs prévue dans la section centrale de cette pièce. Curieusement, et bien qu'elle soit réalisée avec beaucoup de fougue et d'enthousiasme par mes camarades du conservatoire de Liège, cette partie sonne comme du jazz assez conventionnel et formaté, elle n'a pas la richesse incroyable des combinaisons sonores qui suivent lorsque le chef reprend la baguette.

Il n'est pas facile de trouver les mots pour décrire mes impressions. L'impression générale est celle d'avoir partagé avec les interprètes et le reste du public un moment d'intense jubilation (ce qui est bien légitime si l'on se souvient que cette musique a été écrite pour le jubilé des 700 ans de Dante Alighieri). Pour le reste, décrire en détail, et avec des mots, mes impression devant chaque moment de cette musique haute en couleurs et en contraste est impossible. Disons simplement que je l'avais écouté au disque (dans le mythique enregistrement réalisé par Berio lui-même en 1970) et avec un certain plaisir mais que vivre cette musique en concert lui donne une tout autre dimension.

C'est sans doute également une question d'interprétation. On trouve sur Youtube une version donnée récemment par l'ensemble inter-contemporain de la même pièce. C'est très pro, il n'y manque pas une note mais l'attitude est musiciens est tout autre (observez l'expression faciale ou l'attitude corporelle des musiciens qui attendent leur tour pour jouer, c'est tout à fait parlant), le résultat est assez froid et manque finalement de ce petit grain de folie et d'enthousiasme qui fait toute la différence.

samedi 29 mai 2010

1440: invention du clavier occidental

Le clavier du piano, de l'orgue, du clavecin, avec son alternance de touches bicolores (blanches et noires sur le piano, convention inverse pour le clavecin), est un objet si familier que nous avons oublié son origine. J'ai demandé à de nombreux musiciens, y compris des pianistes et compositeurs: savez-vous quand le clavier sous sa forme moderne (7 touches blanches et 5 touches noires divisant l'octave en douze demi-tons égaux ou presque égaux, selon l'accord de l'instrument) a été inventé ? Or la plupart des musiciens l'ignorent, et même, ils ne se sont jamais posé la question. La forme du clavier leur paraît aussi naturelle, ancienne et inéluctable que le chant du rossignol ou les grèves de la SNCF. La plupart savent que le clavier est antérieur à 1600, mais existait-til sous cette forme au moyen-âge ? dans la rome antique ? mystère.

Or la question a une importance majeure, pas seulement pour la technique des instruments à clavier, mais pour l'histoire de la musique occidentale. La quasi-totalité des grands compositeurs occidentaux des 400 dernières années étaient organistes, clavecinistes, (plus tard pianistes). Le clavier était leur instrument de travail quotidien, et sa disposition, avec la correspondance qu'elle établit entre le visuel (les touches) et le sonore (les hauteurs, les intervalles) a nécessairement exercé une influence considérable sur leur vision du monde. Plutôt que de chercher à démonter de point en détail, je me contenterai de deux exemples:

  • l'analyse harmonique classique basée sur les "empilements de tierces" se fonde bien sûr sur la consonance naturelle, mais aussi sur le geste de la main qui pose les accords au clavier. La notion même d'empilement est visuelle, non auditive.
  • comme certains compositeurs contemporains l'ont remarqué, en particulier les spectraux, le tempérament égal a exercé un véritable formatage de notre oreille qui a perdu l'habitude d'entendre des intervalles justes (quartes, quintes, tierces) ou de distinguer des intervalles inférieurs au demi-ton que pourtant la voix peut produire et l'oreille peut entendre.

(Musée de la Musique - Photo : Gérard Janot)

Qui donc a conçu cette grille à douze sons qui a formé le cadre de toute la musique occidentale et continue de former le cadre de la plus grande partie de la production de musique actuelle, y compris les musiques populaires comme le rap, la techno, le jazz, etc ?

Le plus ancien instrument à clavier est l'orgue. Les orgues fabriqués au moyen-âge étaient petits et manipulés par une seule personne qui actionnait le soufflet d'une main et le clavier de l'autre. Ils étaient plus proches de l'accordéon actuel (improprement appelé piano à bretelles alors qu'il s'agit d'un orgue portatif) que du monstre à cinq claviers et cent jeux façon Cavaillé-Coll. Les premiers orgues couvraient un ambitus de deux ou trois octaves, avec 6 ou 7 notes par octave (soit l'hexacorde do-ré-mi-fa-sol-la soit la gamme complète, avec souvent un si bémol au lieu du si pour éviter le triton fa-si bécarre). On possède une représentation iconographique dans le psautier d'Utrecht (830) d'un orgue avec une gamme de 8 degrés: C D E F G A B H (do ré mi fa sol la si bémol si bécarre). Cet orgue est muni de tirettes et non de touches d'ailleurs.

Progressivement sont arrivées les "feintes", ces touches plus petites qui se glissaient entre deux touches de la gamme diatonique et permettaient de changer de mode sans changer d'instrument. Bien sûr il ne venait à l'esprit de personne au XIIe siècle qu'on puisse avoir l'esprit assez tordu pour changer de mode au milieu d'une chanson. La notion de modulation n'existait pas encore. Ainsi le triptyque d'un peintre anonyme surnommé le Maître de St Barthélémy montre Sainte Cécile (saint patronne des musiciens) jouant d'un orgue portatif dont le clavier comporte quatre feintes seulement:

Le nombre et l'emplacement des feintes a probablement fluctué pendant plusieurs siècles avant de se stabiliser sur la forme actuelle, avec 7 marches accordées sur le mode d'UT et 5 feintes qui divisent en deux tous les intervalles de ce mode qui sont des tons entiers. Autrement dit on complète l'échelle chromatique. Dans le traité d'Arnaut de Zwolle, publié en 1440, qui couvre tous les domaines des sciences de l'époque: construction d'horloges, tables astronomiques, joaillerie, on trouve quelque douze feuillets consacrés à la musique. Ces feuillets contiennent aussi bien des considérations théoriques sur les intervalles que les plans et techniques de la facture d'orgue. Je vous renvoie à la présentation de ces feuillets sur le site Orgue à Nos Logis.

Ainsi donc, faut de renseignements plus précis, 1440 peut être considéré comme la date de naissance du clavier moderne, qui est une invention anonyme et collective. Poser une grille sur le continuum des fréquences, diviser cette grille en octaves, diviser chaque octave de la même façon, conquérir le total chromatique, séparer entre "touches noires" et touches blanches, diatonique et chromatique, donner une correspondance entre le visuel et le sonore c'est une invention majeure qui a tout ensemble libéré d'immenses possibilités créatrices et enfermé la musique dans un système que le vingtième siècle à tout juste commencé à remettre en cause.

Ce n'est pas une seule mais toute une vague d'inventions musicales successives qui ont été permises sinon suscitées par la géométrie du clavier occidental:

  • la musique tonale (vers 1600)
  • le tempérament égal (vers 1800), dont Bach avec le "clavier bien tempéré" aura été l'un des précurseurs visionnaires
  • le chromatisme wagnérien (1860)
  • le dodécaphonisme (1920)
Dès lors que le clavier était complet, et que son usage est devenu courant, que la musique instrumentale prenait son essor par rapport à la musique vocale qui avait dominé jusqu'alors, ce qui n'était que les caractéristiques d'un instrument a changé la définition de la musique elle-même. Ainsi la tierce majeure n'est pas un intervalle juste défini par un rapport de 5/4 entre les fréquences mais un empilement de 4 demi-tons: la quarte vaut 5 demi-tons, la quinte en compte 7. Le fait que ces demi-tons soient strictement égaux (tempérament égal) ou pas (tempéraments inégaux) n'a pas tellement d'importance. Les instruments ne sont jamais parfaitement justes d'une part et l'oreille possède une certaine zone de tolérance. Par contre ce qui est fondamental c'est que parmi tous les assemblages de sons possibles on en sélectionne un sous-ensemble si petit, réduit à la combinatoire des 12 sons du clavier. Et qu'on décide que la musique toute entière doit tenir dans cette combinatoire. De même que le Lego réduit personnes, bâtiments et objets à des assemblages de cubes, de même l'invention du clavier dans la musique occidentale a réduit l'univers immense et informe du son à un assemblage de 12 notes (ou de 88 notes si l'on inclut les transpositions à l'octave. Et c'est ainsi pendant près de 400 ans, de Josquin des Prez à Maurice Ravel inclus, que les musiciens ont travaillé avec des notes plutôt qu'avec des sons.

jeudi 20 mai 2010

Y a-t-il une musique après la musique contemporaine ?

Le titre de ce billet est emprunté à Jérôme Ducros, pianiste, qui a signé un article éponyme dans la revue Commentairede mars 2010 (une version abrégée a été publiée dans Libération le 16 avril dernier). Ce jeune artiste (il a essentiellement le même âge que moi)  y lance quelques joyeuses provocations comme la musique du futur est bientôt derrière nous ou encore: Oubliés, les "Beethoven non plus n'était pas aimé !" que les compositeurs lancent à la cantonade pour faire porter au public la responsabilité de leur propre indigence !.

Le fond de son argumentaire est le suivant: si par contemporain on entend un certain style de musique et non l'ensemble de la musique qui se fait aujourd'hui (à relire dans le journal de Papgeno sur le sujet: quel avenir pour la musique contemoraine ? et le contemorain est-il un style ?), alors le contemporain peut vieillir comme n'importe quel style. Et les compositeurs qui dans les années 1950 ou 1970 étaient à l'avant-garde et bousculaient les traditions académiques se retrouvent aujourd'hui dans la posture de compositeurs installés, triplement légitimés (pour reprendre le vocabulaire bourdieusien) par la critique, l'enseignement et les subventions. Dès lors qu'elles sont enseignées au Conservatoire (et donc nécessairement de façon dogmatique et académique), les audaces d'hier deviennent les conservatismes d'aujourd'hui, et les jeunes musiciens n'auront d'envie plus pressante que de déboulonner les statues de leurs glorieux prédécesseurs.

Du reste , on pourrait presque reprocher à Jérôme Ducros d'arriver après la bataille, et de tirer sur l'ambulance alors qu'elle ne contient plus qu'un mourant. Dès 1987 avec sa Pavane pour alto seul, le compositeur Philippe Hersant choisissait de tourner le dos à l'enseignement qu'il avait reçu au conservatoire pour choisir une autre voie, un rapport avec la musique du passé autrement que sur le mode du conflit ou du rejet. Et de nombreux musiciens, certains excellents, ont suivi une démarche semblable: Escaich, Beffa, Bacri.

Dans le débat musique tonale contre musique atonale (et encore faut-il bien définir la musique tonale), plutôt que la prose de Jérôme Ducros, il est bien plus intéressant de relire celle d'Arnold Schönberg, qui s'est posé toutes ces questions et y a réfléchi de manière fort profonde et en dehors de tout dogmatisme. Schönberg qui maîtrisait parfaitement l'écriture tonale (ses oeuvres post-romantiques comme les Gurre-Lieder en sont la preuve) et se montrait tout à fait ouvert par rapport à elle: il reste encore de très belles choses à écrire en do majeur était un de ses aphorismes favoris.

Ce débat a donc déjà eu lieu il y a plus de soixante-dix ans, et il a été rendu largement obsolète par ce qui s'est passé depuis 1945 avec l'avènement de la musique électronique et l'intérêt toujours plus grand des compositeurs pour le son. Lorsqu'on compose avec des sons et non plus des notes, la problématique tonale contre atonale ne se pose plus dans les mêmes termes, voire plus du tout. Même si on peut entendre atonale au sens large, comme le refus de la mélodie, de l'harmonie et des rythmes réguliers (en bref, de tout ce qui fait plaisir à l'oreille).

Il se trouve que je travaille en ce moment plusieurs pièces pour alto pour un examen au conservatoire de Liège (ou Dieu merci, la musique contemporaine est encore accueillie dans une esprit de curiosité et d'ouverture, en échappant à la fois à l'obligation dogmatique et au refus qui s'ensuit). L'un d'entre elle est la Suite hébraïque d'Ernst Bloch, qui exploite merveilleusement bien les qualités mélodiques de l'instrument. Un autre pièce a été écrite par Heinz Holliger en 2001 (j'espère en parler plus en détail dans un prochain billet): c'est du contemporain qui gratte, qui pique, et qui décrasse les oreilles. C'est plutôt difficile techniquement mais je me fais franchement plaisir en la jouant, et s'il est possible que les gens qui n'aiment que Rachmaninoff et Brahms trouvent ça vilain, ceux qui viennent écouter sans préjuger pourront avoir beaucoup de plaisir eux aussi: "ça déchire" m'a dit un guitariste de rock amateur en l'entendant. C'est complètement chtarbé comme musique, mais voilà bien ce qui fait tout son charme. Et en tant qu'interprète je ne peux que me réjouir d'avoir cette merveilleuse diversité de répertoire (classique, baroque, romantique, moderne, contemporain) à ma disposition.

Pour conclure, voici une petite improvisation sur un accord hyper-tonal de 7 sons:

mardi 18 mai 2010

Disparition d'Yvonne Loriod

Il nous faut aujourd'hui saluer la mémoire de la pianiste Yvonne Loriod, disparue le 17 mai 2010. Seconde épouse d'Olivier Messiaen, elle a participé à quasiment toutes ses créations depuis les Vingt Regards et les Visions de l'Amen en 1944 jusqu'au Concert à Quatre cinquante ans plus tard. Participer est à entendre au sens large, car en plus de tenir la partie de piano, elle aidait également Messiaen à corriger et relire les épreuves de ses partitions, à enregistrer les chants d'oiseaux aux quatre coins du monde. En 2008 elle a tout naturellement présidé les cérémonies du centenaire. C'est une grande dame du piano moderne, dont le rôle ne s'est pas limité à celui d'assistante de son époux, car elle a défendu sur scène et enregistré la musique de Boulez, Jolivet, Barraqué, Schönberg, Bartók, et bien d'autres. On peut lire dans le Monde le témoignage de Roger Muraro: "C'était une personnalité très forte, exceptionnelle dans son domaine, une figure de proue de la découverte de la musique de la seconde moitié du XXe siècle".

D'après la biographie de Simeone et Hill, Olivier Messiaen et Yvonne Loriod ont joué ensemble les Visions de l'Amen plus de cent fois en public. Il nous en reste fort heureusement des enregistrements d'une clarté merveilleuse où les qualités dynamiques de la musique de Messiaen sont autant mises en valeur que son côté méditatif (qui est peut-être plus connu et que les pianistes aujourd'hui ont tendance à exagérer). Ré-écoutons ensemble avec recueillement et gratitude le n°5 'Amen des Anges, des Saints, du Chant des Oiseaux':

vendredi 30 avril 2010

Schubert:arpeggione et lieder, par Antoine Tamestit, Markus Hadulla et Sandrine Piau

Après un premier disque consacré à Bach et Ligeti, et un deuxième à la musique russe (Chostakovitch et Schnittke), l'altiste Antoine Tamestit nous propose un troisième opus consacré intégralement à Schubert, avec la très connue et très belle sonate pour Arpeggione, complétée par des transcriptions de lieder, et terminée par Der Hirt auf dem Felsen en duo avec Sandrine Piau.

Globalement, je partage l'enthousiasme de Philippe du Poisson Rêveur au sujet de cet album (qu'on peut découvrir en streaming sur les sites comme musicme). J'y retrouve toutes les qualités que j'ai pu apprécier en concert comme au disque: une élégance, une merveilleuse souplesse mélodique qui lui permet de dérouler sans accroc le fil invisible du discours schubertien. Le timbre léger, presque fragile, jamais puissant comme celui d'un violoncelle, convient parfaitement à l'intimité de la sonate arpeggione. L'équilibre avec le piano est parfait, le tout donne l'impression d'avoir été enregistré très près des instruments et mixé en studio. Le résultat est en tout cas très convainquant, et à la hauteur des meilleures références discographiques comme celles de Bashmet et Caussé (pour s'en tenir aux altistes, car les violoncellistes nous ont donné nombre de versions excellentes de cette sonate).

Ma seule réserve porte sur le choix des lieder qui accompagnent l'arpeggione. Tous sont très beaux, très doux, très intimes, et très mélancoliques, ce qui donne une certaine impression d'uniformité sur l'ensemble de l'album. Il y a pourtant dans les quelque six cents lieder de Schubert des textes véhiculant toutes sortes d'émotions: le ton peut être oppressé, coléreux, amoureux, enthousiaste, ironique ou désespéré. Et la beauté de l'alto est qu'en plus de la douceur dont Tamestit est un grand spécialiste, il peut également jouer sur d'autres registres, plus rugueux, plus populaire, plus déjanté, des registres que sa noblesse aristocratique interdit au violon. Le choix des textes comme les choix d'interprétation faits dans cet album ne vont pas vraiment dans le sens d'une telle diversité ou d'une recherche des contraste, mais plutôt d'un prolongement du climat de la sonate arpeggione.

C'est peut-être dans la dernière plage du disque: Der Hirt auf dem Felsen (le pâtre sur le rocher), écrit au départ en duo pour soprano et clarinette, que ces choix apparaissent le plus clairement. Quand la voix de Sandrine Piau se fait entendre en reprenant la phrase mélodique énoncée par l'alto, on dirait que c'est la chanteuse qui accompagne l'instrumentiste ! Ce qui apparaît également sur la pochette du disque où c'est l'altiste seul qui est en vedette. L'interprétation comme la prise de son tendent à rapprocher autant que faire se peut le timbre de la voix et celui de l'alto. Un choix qui se défend, même si on peut préférer dans ce lied à caractère populaire une voix plus cuivrée, qui dialogue avec une clarinette plus typée.

Si l'on peut juger toute cette douceur un peu excessive, il n'en reste pas moins qu'Antoine Tamestit montre dans cette pièce une technique parfaite et une souplesse mélodique incroyable dont peu d'instrumentistes à cordes sont capables et qui rend tout à fait crédible le remplacement d'un instrument à vent par l'alto. Comme nous l'avons déjà évoqué, la transcription est aussi une affaire d'interprétation, et ce qui lui convient comme un gant pourrait sonner beaucoup moins bien sous les doigts d'un autre musicien.

En résumé, cet album c'est 58 minutes de miel pour les oreilles. On peut aimer bien sûr les plats plus épicés, mais de temps en temps il n'y a pas de mal à se faire du bien...

mercredi 21 avril 2010

Piano microtonal à Liège

La conservatoire de Liège propose un concert gratuit autour du piano microtonal le 21 avril 2010 à l'espace Henri Pousseur (oeuvres de Ivan Wyschnegradsky, Bruce Mather, Jean-Yves Colmant). Encadrés par Pierre Thomas et Brigitte Foccroule, les élèves pianistes du conservatoire ont pu découvrir le piano au 1/16e de ton, dont le clavier de 85 touches est identique à celui d'un piano, mais qui couvre seulement un ambitus d'une octave car l'écart entre deux touches consécutives n'est pas d'un demi-ton mais d'un seizième de ton. Ils utilisent également un autre dispositif plus classique, si j'ose dire: deux pianos dont l'un est accordé un quart de ton plus bas que l'autre.

La barrière du demi-ton, le fait qu'on ne puisse pas jouer finement sur la hauteur d'une note, est une des principales limitations des instruments à clavier comme le piano moderne. Si on la fait sauter c'est vraiment tout un monde de nouvelles possibilités qui s'ouvre, et qui n'a été que très peu exploré jusqu'à présent. Il n'y a qu'un seul facteur de pianos qui en propose à ma connaissance (l'allemand Sauter). Le premier exemplaire a été présenté par le compositeur mexicain Julian Carrillo en 1958 à Bruxelles, et il a suscité un certain nombre de compositions depuis les années 1960 à aujourd'hui même si la rareté de l'instrument limite leur diffusion. Pour construire un piano en 1/16e de tons, on ne peut pas prendre un piano ordinaire et changer les cordes: le cadre est entièrement différent car la longueur des cordes varie très peu entre le do grave et le do aigu qui sont séparés d'une octave seulement.

Comment sonne un piano microtonal ? Au début un peu étrange, un peu "faux" surtout les gens qui comme moi ont l'oreille absolue et la mauvaise habitude d'étiqueter les notes (les gens qui entendent 'sol-sol-sol-mi bémol' et non 'pom-pom-pom-pooom'). Après une courte phase d'adaptation, on commence à écouter les battements, les résonances, les frictions, à prêter l'oreille à ces déplacements mélodiques infimes, et à prendre du plaisir ! Contrairement au demi-ton qui est une dissonance assez dure (la plus dure qui soit, nous apprend l'acoustique morphologique), le seizième de ton produit des battements assez doux.
L'ambitus d'une octave est certes un peu étroit mais on contourne souvent cette difficulté en couplant le piano microtonal avec un piano ordinaire, qui pourra donner des basses aussi bien que des aigus pour renforcer harmoniques supérieures.

Un peu plus proche des sensations habituelles le piano en 1/4 de tons donne déjà une coloration harmonique et mélodique tout à fait exotique et intéressante. Je vous invite à regarder par exemple la vidéo extraite d'un documentaire sur la chaîne Mezzo sur le compositeur Zad Moultaka, ou encore à écouter ces trois pièces de Charles Ives, un des précurseurs des micro-intervalles, pour deux pianos accordés au quart de ton:

En tout cas c'est un beau coup de chapeau que méritent les enseignants du conservatoire de Liège pour ce concert (qui n'est qu'un projet parmi d'autres dans une programmation très riche qui marie les classiques avec le jazz, l'improvisation et la musique contemporaine). Malheureusement, ça n'est pas dans les conservatoires français, dédiés au culte exclusif de Chopin, Liszt et Rachmaninoff en ce qui concerne le piano, qu'on voit souvent ce type d'initiative.


samedi 10 avril 2010

Quelques concerts d'avril 2010 à Paris

Parmi les centaines de concerts proposés aux parisiens en ce mois d'avril 2010, en voici quelques-uns qui ont retenu mon attention, même si mon emploi du temps ne me permettra pas d'assister à tous ces belles propositions:

  • Dimanche 11 avril 2010 à 17h, Salle Pleyel, l'orchestre du CRR de Paris joue Beethoven et Bruckner. Entrée libre, billets à retirer à partir du 6 avril au CRR de Paris, 14 rue de Madrid Paris 8e (service d'action culturelle).
  • Lundi 12 avril 2010 à l'Opéra Bastille, Pierre Boulez dirige Messian: Chromochronie, Et expecto ressurrectoinem mortuorum,Poèmes pour Mi. Il semble qu'il reste des places, n'hésitez pas à vous faire du bien.
  • Mardi 13 avril au Théâtre du Ranelagh, musique de chambre avec une bonne dose de Brahms et une pincée de musique contemporaine (Alain Bonardi)
  • Jeudi 15 avril à 20H30 à La Péniche opéra: carte blanche à Julien Gauthier par le Cabaret Contemporain
  • Vendredi 16 avril à midi et demie: concert donné au musée Carnavalet par des musiciens de l'Opéra, au profit de l'association Enfance et Partage. Un programme so british avec des quatuor, quinette et sextuor de Britten, Vaughan-Williams et Bridge.
  • Samedi 17 avril à 20h30 à la Cerise (46 rue Montorgueil Paris 2e), un récital chant et piano de Chiara Skerath et Mary Olivon: Schumann, Ravel, Fauré (entrée libre).

dimanche 4 avril 2010

Une grande fugue pour une grande brune

Il y en a tout de même qui ont de la chance. Mme Carla Bruni, non contente d'avoir remporté haut la main le jeu de télé-réalité "le bachelor de l'Elysée" en 2007, a pu récemment, lors d'une visite officielle de son mari à New-York, visiter la Juilliard School où l'on a sorti pour elle quelques trésors de la bibliothèque de partitions. Ainsi l'autographe de la version pour piano à 4 mains de la Grande Fugue opus 133 d'un certain Ludwig van (autre star de la chanson populaire en son temps). Largement de quoi expliquer ce sourire qui va littéralement d'une oreille à l'autre.

C'est aussi pour nos lecteurs l'occasion de rappeler cette anecdote au sujet de Beethoven et des grands de ce monde. En 1806, alors que l'Autriche était occupée par Napoléon, son mécène (son employeur si l'on veut), le prince Lichnowsky, l'avait menacé de prison s'il continuait à refuser aussi obstinément de vouloir jouer pour les officiers français qui occupaient son château. Beethoven lui a envoyé cette lettre de démission colérique et sublime:

« Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven. »

Les compositeurs morts ont décidément bien des avantages. Car il ne fait aucun doute que ce sacré Beethoven, s'il était encore parmi nous, aurait été capable d'éconduire la Première Dame avec la plus parfaite grossièreté.

lundi 29 mars 2010

Le temps l'Horloge d'Henri Dutilleux (enregistrement de la création)

Voilà un disque pour les happy few, tiré à un nombre ridiculement petit d'exemplaires et introuvable dans le commerce et dont je suis reconnaissant à un ami d'avoir pu l'emprunter. Il s'agit de l'enregistrement du cycle de mélodies pour soprano et orchestre d'Henri Dutilleux, Le Temps L'Horloge, donné à Paris au théâtre des Champs-Élysées le 7 mai 2009, par Renée Fleming, accompagnée par Seiji Osawa à la tête de l'Orchestre National de France. Bien que le disque indique création mondiale, trois des quatre mélodies avaient été données en concert au japon en septembre 2007.

Henri Dutilleux a toujours travaillé avec une proverbiale lenteur, sujet de mille et unes anecdotes. Cela explique sans doute pourquoi il n'a pas composé de musique de film ou d'opéras. Mais sa musique est dense, profonde et belle comme une forêt ancienne, on ne se lasse pas d'y revenir. Beaucoup de compositeurs annoncent fièrement dans leur biographie qu'il sont à l'écart des courants et des modes, mais dans le cas de Dutilleux c'est la stricte vérité. Il poursuit son chemin solitaire avec une constance et une humilité remarquables depuis bientôt trois quarts de siècle. La pochette du disque rappelle que la première création d'une oeuvre de Dutilleux au Théâtre des Champs-Élysées remonte à 1944 c'est à dire l'année de naissance de mon père...

Pour sa deuxième oeuvre pour voix et orchestre (après Correspondances en 2003), Dutilleux a choisi deux poèmes de Jean Tardieu dont Le Temps L'Horloge qui ouvre le cycle et lui donne son nom:


L'autre jour j'écoutais le temps
qui passait sous l'horloge.
Chaînes, battants et rouages
il faisait plus de bruit que cent
au clocher du village
et mon âme en était contente. 

J'aime mieux le temps s'il se montre
que s'il passe en nous sans bruit
comme un voleur dans la nuit...

(Jean Tardieu, extrait de "L’Accent grave et l’Accent aigu")

On retrouve bien sûr les thèmes chers à Dutilleux, la nuit et le temps. Suivent un autre poème de Tardieu (Le masque), puis Desnos (Le dernier poème) et après un interludes confié aux violoncelles et au clavecin, un poème de Baudelaire: "Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; Enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."

C'est avec des accents joyeux et d'une surprenante fraîcheur que ce conclut ce cycle magistral. Et pour ma part je ne conclurai pas ce billet sans saluer la performance des interprètes dont on sent qu'ils ont mis tout leur coeur dans cette création. Devant l'accueil plus qu'enthousiaste du public, les spectateurs du TCE ou pu entendre Le Temps L'Horloge bissé dans son intégralité. Petits veinards !

mercredi 24 mars 2010

Une flûte en or Massy

La Flûte enchantée de Mozart a toujours été, est encore et restera certainement mon opéra préféré. Du reste les lecteurs de ce blog peuvent s'en douter un peu en lisant son titre. Pourquoi un tel amour ? Je pourrai argumenter longuement, expliquer pourquoi c'est la fusion parfaite entre théâtre et musique, entre musique savante et spectacle populaire, entre drame et comédie. Il n'y a pas un seul aria de La Flûte qui ne soit pas un petit bijou: duos, trios, quatuors et quintettes sont réalisés avec une facilité, une souplesse dans la polyphonie qui forcent l'admiration. Du reste, l'ouverture orchestrale et la plupart des airs de la Flûte sont devenus des tubes, des visages familiers de la mémoire musicale collective. On pardonne aisément à la Flûte enchantée les défauts de son livret un peu décousu et ouvertement moralisateur, de cette histoire d'initiation maçonnique à laquelle je n'ai jamais compris grand-chose et qui pour parler franchement m'a toujours un peu gonflé (ça doit être mon côté Papageno).

Je pourrais argumenter longuement sur mon amour de la Flûte, mais je ne le ferai pas davantage, et je me contenterai de vous inviter à ré-écouter la scène qui donne la clé de tout l'opéra et peut-être de la vie de Mozart lui-même: celle … de la flûte enchantée (Wie stark ist nicht dein Zauberton). Je veux dire la scène la Flûte ou la flûte magique est utilisée par Tamino pour se protéger des bêtes sauvages, qui cessent leur grognements menaçants et se mettent à danser.

(cet air est chanté ici par Francisco Araiza, dirigé par Wolfgang Sawallisch, extrait d'un DVD disponible chez Deutsche Gramophon)

Comment ne pas voir dans cette scène un auto-portrait du jeune Mozart, armé de ses seuls talents de musicien pour faire face à un monde brutal et injuste dans lequel il n'a jamais vraiment eu sa place ?

C'était donc un bonheur renouvelé pour moi d'assister à une nouvelle production de la Flûte, à l'opéra de Massy, bonheur qui se doublait de celui de le faire découvrir à mes enfants devenus assez grand et pour qui c'était la première représentation d'opéra.

Cette co-production de l'opéra de Massy et du Festival de Saint-Céré était placée sous le signe de la jeunesse et de la simplicité. Jeunesse des chanteurs de la troupe Opéra éclaté dont aucun n'a atteint les trente ans; de l'orchestre de Massy qui vient de fêter ses vingt ans; également du public où l'on aperçoit, en plus des habituelles têtes grises, d'autres parents qui ont eu comme moi l'idée saugrenue d'emmener avec eux des enfants et même des adolescents. Simplicité de la mise en scène, de l'ambiance bon enfant, de l'accueil dans ce théâtre modeste et chaleureux. Fort heureusement, cette salle n'a pas l'ambiance froide et prétentieuse, façon secte pour gens riches et cultivés, qu'on reproche parfois à l'opéra et qui est particulièrement sensible à l'Opéra de Paris, pour ne pas le nommer. Soit dit en passant, le prix modéré des places a aussi de quoi soulager les pères des familles.

Mise en scène Eric Pérez - Direction musicale Joël Suhubiette - Assistant Damien Lefèvre - décors et lumières Patrice Gouron - Costumes Jean Michel Angays et Stéphane Laverne - Maquillages Pascale Fau - Chef de chant Corine Durous

Même si elle était réalisée avec de tout petits moyens (on pouvait s'en rendre compte avec les épreuves du feu et de l'eau ou la représentation du serpent), la mise en scène d'Eric Perez ne manquait pas de charme ni d'efficacité: une estrade qui pose une sorte de scène sur la scène, des éléments modulables qui figurent tantôt des portes, tantôt des murs, des lits ou des barreaux. Évitant le double piège d'en faire trop ou pas assez, elle laisse suffisamment d'espace aux acteurs-chanteurs pour s'exprimer et au public pour rêver. Les costumes de J-M. Angays et S. Laverne m'ont plu par leurs couleurs vives (un peu trop vives au goût de mon aimée) et leur contribution à la narration: ainsi Tamino et Pamina, dont les habits blancs se parent de couleurs alors qu'ils avancent dans leur initiation. Ou encore la robe de la reine de la nuit d'un noir violacé inquiétant, largement ouverte pour laisser apparaître un pantalon sur le devant. Est-ce une robe ou un pantalon ? Toute la duplicité du personnage apparaît dans son costume.

Quant aux chanteurs, le journal de Papageno n'est pas le lieu pour jouer aux critiques musicaux et distribuer les bons et les mauvais points. Je donnerai cependant une mention toute spéciale à la Pamina de Marion Tassou qui m'a fait pleurer dans l'aria Ach, ich fühl's, es ist verschunden. Et j'ai gardé une bonne impression du plateau dans son ensemble, avec des rôles féminins globalement plus séduisants et convaincants que leurs homologues masculins. Les scènes parlées de ce Singspiel (car c'est du théâtre chanté et non un opera seria) le sont en français, dans une traduction légèrement modernisée qui par conséquent parle directement au public. Soulignons que la taille modeste de l'opéra de Massy (800 places) ainsi que celles de l'orchestre (9 violons, 4 altos, 3 violoncelles, soit la moitié de ce qu'on emploie généralement pour les opéras ou les symphonies romantiques) convient particulièrement bien aux chanteurs, autant pour l'équilibre acoustique que pour un bon contact avec le public.

En résumé, cette production m'a plu par l'enthousiasme et la cohésion de cette troupe qui ont fait de cet opéra initiatique une très bonne initiation à l'opéra pour les enfants. J'ai pu entendre à Salzbourg il y a quelques années une autre Flûte avec un orchestre somptueux et des chanteurs de tout premier plan, qui m'a causé un grand plaisir esthétique mais pas laissé la même impression de bonheur simple et partagé.

lundi 22 mars 2010

Humblement...

Quel compositeur célèbre a déclaré:

La musique doit humblement chercher à faire plaisir, l'extrême complication est le contraire de l'art ?

Voici en guise d'indice, une autre citation du même musicien:

La musique est un art libre, jaillissant, un art de plein air,
un art à la mesure des éléments, du vent, du ciel, de la mer !

Comme troisième et dernier indice, on peut suggérer que ce grand musicien ne s'appliquait pas forcément à lui-même ses excellents conseils: sa musique est à la fois très simple à l'oreille et très raffinée et sophistiquée dans l'écriture et l'orchestration. Et malgré tout ce qu'il a écrit sur les couchers de soleil qui valaient cent fois mieux qu'on concert, il a assidûment fréquenté les salles parisiennes et connaissait fort bien la musique de son temps. Mais j'en ai déjà trop dit, ou pas assez...

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