mercredi 14 septembre 2011

Les Jewish Folk Songs en vidéo

J'ai écrit les Chants Populaires Juifs il y a 4 ans, autant dire une éternité. A l'époque complètement autodidacte, je m'étais fixé des objectifs tout à fait modestes: écrire une musique simple, de style tonal, destinée à des musiciens amateurs, plaisante à jouer et qui tienne à peu près la route. Après les avoir joués avec mes amis en avril puis en juin 2007, j'ai posté la partition sur internet avant de passer à d'autres projets (et de commencer mon apprentissage de compositeur plus sérieusement).

Bien m'en a pris car j'ai reçu ensuite des emails d'un peu partout (par exemple des Etats-Unis) me signalant des concerts de musiciens étudiants ou amateurs, souvent assortis de quelques mots gentils.

Plus récemment, l'été dernier c'est le Trio Ayesha un groupe de musiciens italiens récemment formé, qui a donné ces pièces en concert lors d'un Festival en Belgique. Ils ont également eu la gentillesse de filmer le concert et de poster des extraits sur Youtube afin que les lecteurs de ce blog puissent en profiter. Le seul inconvénient étant la prise de son: c'est capté avec le micro du caméscope, il y a du souffle, de la réverbération et aussi de la distortion dans les fréquences les plus aigües (ce qui déforme le timbre des instruments). Cela étant dit c'est un petit morceau de concert tout à fait écoutable et charmant. Voici par exemple le mouvement lent:

Un grand merci à Marco Messa, Michele Vagnini et Ramzi Hakim.

SibeliusMusic devient ScoreExchange

Le site SibeliusMusic qui héberge une centaine de mes partitions (compositions et arrangements) va bientôt fermer ses portes et être remplacé par ScoreExchange qui remplit peu ou prou la même fonction.

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samedi 10 septembre 2011

Liszt: Faust-symphonie par Devoyon et Murata

Pascal Devoyon et Rikako Murata nous proposent de fêter le bicentenaire Franz Liszt en beauté avec un disque consacré à la Faut-Symphonie dans une version pour deux pianos du compositeur. En complément de programme, nous avons droit à une version 4 mains de la deuxième Mephisto Walz. Enregistré au Japon pour le label Regulus et pas encore commercialisé en France ni disponible sur les sites comme iTunes ou Amazon MP3 (On peut sans doute avoir plus d'information sur la disponibilité en écrivant ici)

FaustCDMini.jpgPassons sur la couverture qui reprend la même photo que les autres disques du même duo de pianistes (comme le disque Ravel-Merlet-Messiaen dont nous fîmes grand cas), en y ajoutant une sorte de photo d'arbre décharné sur fond rouge sensée représenter vaguement l'enfer, puisque le disque s'intitule Liszt & The Devil. Fort heureusement le contenu vaut bien mieux que l'emballage, à commencer par le livret en quatre langues (français, anglais, allemand, japonais) où les deux artistes nous font partager leur passion pour Liszt en expliquant toute la portée du pacte faustien pour un musicien aujourd'hui:

Il est bien naturel de noter quelques ressemblances entre le Faust magicien, insatisfait, passionné, qui sera sauvé par l'amour et Liszt, magicien du clavier, mais aussi compositeur en proie au doute et homme qui croit en la rédemption du monde par l'amour. Quant au rapprochement avec Méphisto, les virtuoses ne sont-ils pas quelque peu diaboliques comme un certain Paganini, "violoniste du diable" ? 

Mais ce serait réduire la portée du mythe de Faust si l'on y voyait qu'une belle histoire bien morale qui, somme toute, ne finit pas si mal, l'amour apportant le pardon. Faust c'est aussi, et peut-être d'abord, le décalage entre l'idéal inaccessible et la réalité décevante, ce qui explique probablement l'engouement de tout artiste pour ce personnage symbole de l'insatisfaction permanente de l'homme et à qui s'offre une nouvelle vie. Qui n'a pas rêvé de refaire sa vie ? Quel artiste ne vendrait pas son âme au diable pour réaliser l'oeuvre parfaite, sortir de la médiocrité vraie ou supposée ?

On ne saurait mieux dire. La Faust-Symphonie rassemble et résume tout l'art de Liszt, toutes les facettes de sa personnalité si originale et attachante, si puissamment romantique. Dans sa version pour deux pianos, nous sommes bien sûr privés de la richesse de de l'audace des orchestration lisztiennes (un aspect souvent méconnu de son oeuvre, tant son nom reste associé à la virtuosité pianistique). On pense davantage à la Sonate en Si mineur. Ce serait fort injuste cependant de prétendre que l'interprétation de Devoyon et Murata manque de couleurs. C'est tout le contraire: la merveilleuse sensibilité au timbre à la couleur qu'ils ont acquise par une longue pratique de la musique française fait ici vraiment des merveilles.

Il convient donc d'éviter la comparaison avec la version pour orchestre et de se plonger sans retenue dans l'écoute de cette fresque symphonique à deux pianos de dimensions quasi malhériennes (presque une heure de durée), portée de bout en bout par deux interprètes aussi passionnés que rigoureux. On pourra ainsi apprécier pleinement la manière dont Liszt éviter d'introduire aucun thème nouveau dans le troisième "portrait", celui de Mephisto. Le diable ne crée rien: aussi les matériaux musicaux qu'on entend dans cette pièce sont ceux de Faust et de Gretchen, déformés, torturés, caricaturés avec tout l'art de la variation dont Liszt était un maître. Un procédé qui rappelle celui de Berlioz dans la Symphonie Fantastique (rappelons que Liszt connaissait et appréciait Berlioz et qu'il avait beaucoup fait pour diffuser sa musique en allemagne: réduction pour piano de ses oeuvres, concerts à Weimar, etc).

Je ne saurais être objectif en parlant de Devoyon et Murata, qui m'honorent de leur amitié et ont créé une de mes pièces. Mais il faut bien reconnaître que chaque prestation en concert à laquelle j'ai pu assister force l'admiration. Et que ce nouveau disque est tout à fait à la hauteur des mes attentes, qui sont très élevées car je trouve que dans les deux tiers de ce qu'on trouve dans le commerce, la musique de Liszt est éborgnée par des pianistes qui n'en saisissent pas toutes les dimensions. Pascal Devoyon et Rikako Murata joueront Liszt dans quelques jours à Sendai, puis en tournée au Japon. Pour les entendre à nouveau en Europe (Berlin et Paris) il faudra attendre l'année prochaine...

lundi 29 août 2011

Une manipulation empirique de cette possibilité...

Si l'on ne se satisfait pas d'une manipulation empirique de cette possibilité, on pourra de nouveau y appliquer une méthode de travail systématique, en établissant une échelle de critères différentiels (par exemple: consonant-indifférent-dissonant) pour chacun de ses aspects, vertical et horizontal (mais encore peut-on préciser ces critères et distinguer: disposition "pesante" ou "légère" des intervalles, par exemple quartes ou quintes, rapprochement ou écartement des consonances ou des dissonances, etc), et distribuer à nouveau ces critères, organisés en échelle multidimensionnelle comme le montre l'exemple 16, conformément à quelque structure formellement, et expressivement, efficace.

C'est la semaine internationale du livre. Les règles : Prenez le livre le plus près de vous. Allez à la page 56. Copiez la 5e phrase dans votre statut. Ne mentionnez pas le titre du livre.

(Merci à Tom Le Pirate pour l'idée. Et à ceux qui seraient curieux de connaître l'auteur de ce livre, voici un indice: il n'est pas Français :)

mardi 23 août 2011

La Symphonie des nombres premiers, par Marcus du Sautoy

Écrire l'histoire des nombres premiers comme on écrirait une histoire de la musique: voilà en peu de mots le propos de Marcus du Sautoy pour son ouvrage la Symphonie des nombres premiers, paru en 2003 sous le titre the music of primes, qui a été récemment traduit en français aux éditions Héloïse d'Ormesson.

Ainsi donc, au lieu d'évoquer la vie et le travail de Bach, Mozart ou Franck, ce mathématicien et musicien amateur nous raconte l'histoire d'Euclide, Diophante, Gauss, Euler, Dirichlet, Riemann, Hadamard, Hilbert, Ramunajan, Weil, Grothendieck, Connes et tant d'autres. Par mille et une anecdotes savoureuses sur les grandes qualités et les petits défauts des mathématiciens, il nous fait ressentir une forme de proximité, d'empathie pour ces hommes et femmes qui par-delà les frontières en tout genre (culturelles, temporelles, politiques) ont chacun apporté leur pierre à ce magnifique édifice intellectuel qu'est la théorie des nombres. A titre d'exemple, voici les "axiomes" que Hardy et Littlewood s'étaient fixées pour leur collaboration:

  1. Peu importait si ce qu'ils s'écrivaient l'un à l'autre était juste ou non
  2. Rien ne les obligeait à se répondre, ni même à lire les lettres qu'ils s'envoyaient
  3. Ils devaient s'efforcer de ne pas penser aux mêmes choses
  4. Tous les articles porteraient toujours les deux signatures, même si l'au ou l'autre n'y avait en rien contribué.
Comme le remarque du Sautoy, il est tout à fait remarquable qu'une collaboration aussi fructueuse soit basée sur des règles en apparence aussi négatives !

du_Sautoy_la_symphonie_des_nombres_premiers.jpgAu cœur du livre se trouve l'hypothèse de Riemann, un des Problèmes du Millénaire dont celui qui apportera la preuve gagnera 1 million de dollars et surtout une gloire mondiale. C'est un résultat qui pourrait paraître un brin technique sur l'emplacement des zéros d'une certaine fonction zeta; lesquels zéros donnent la clé d'une formule concernant la répartition des nombres premiers (c'est à dire le nombre de nombre premiers plus petits que N). La plupart des mathématiciens partagent la croyance que cette hypothèse est vraie et même démontrable, mais les avis sont partagés sur le temps qu'il faudra attendre: certains considèrent qu'on en est tout près et d'autres que ce résultat restera un défi pour les mathématiciens pour un siècle au moins.

C'est bien là toute la beauté de cette symphonie des nombres premiers: elle est inachevé. Ses plus belles pages sont sans doute celles qui restent à écrire. La théorie des nombres, qu'on avait longtemps cru le domaine des mathématiques pures, celle qu'on pratique pour le seul plaisir intellectuel, a déjà trouvé des applications on ne peut plus concrète dans la cryptographie, et pourrait en trouver d'autres notamment avec la mécanique quantique.

Ce livre est accessible aux non-mathématiciens ? C'est un peu difficile à juger par l'auteur de ce blog qui a un bac+5 en maths et donc tendance à trouver élémentaire ce que d'autres trouveraient parfaitement abscons. Je note tout de même que Marcus du Sautoy a su avec un certain doigté éviter deux écueils dans ce livre: s'interdire d'écrire la moindre équation d'une part et vouloir tout expliquer d'autre part. Ainsi l'ouvrage reste  accessible pour une personne ayant un simple bac scientifique tout en pouvant être lu avec profit par un chercheur en maths.

Jusqu'à quel point l'analogie entre musique et mathématique fonctionne ? C'est naturellement la question qui m'a travaillé en lisant cette Symphonie des nombres premiers. D'une certaine manière, la musique est la mathématique du son, et cela n'a rien de surprenant que tant de chercheurs scientifiques soient mélomanes ou musiciens. Cependant, malgré les formidables progrès de l'éducation en général et l’engouement suscité par les ouvrages de vulgarisation (y compris d'ailleurs ceux qui sont signés par des imposteurs comme les Bogdanoff), les mathématiques restent accessibles à un petit nombre seulement, et les jouissances qu'elles procurent restent purement intellectuelles. Si elle peut également procurer des plaisirs intellectuels, la musique parle avant tout à nos sens: elle nous donne envie de pleurer ou de danser, nous fait littéralement vibrer. Le plaisir qu'on éprouve à jouer du violon par exemple est si intense que j'aurais du mal à le décrire avec des mots; en général il est aussi très communicatif, sauf si l'on joue vraiment trop faux (comme le disait Saint-Saëns, "tous les violonistes jouent faux mais il y en a qui exagèrent"). Composer l'Art de la Fugue ou la Sonate Hammerklavier n'est peut-être pas à la portée de tous, mais la belle musique parle d'elle-même et se passe de toute explication.

Cela étant posé, pour ceux d'entre vous qui ont la chance d'être encore en vacances, le livre de Marcus du Sautoy pourrait avantageusement remplacer le polar norvégien ou le roman historique du moment. Ce qui vous permettrait, chers lecteurs de ce blog de répondre à quiconque vous demanderait pourquoi vous regardez dans le vide entre deux pages: "à ton avis, le nombre de grain de sable sur cette plage est-il premier ?"

(Nous laissons en exercice au lecteur l'estimation de la probabilité pour qu'il le soit, avec des hypothèses raisonnables sur la taille de la plage et le nombre de grains de sable par mètre cube).

dimanche 14 août 2011

Henri Dutilleux: Ainsi la nuit (documentaire de Vincent Bataillon)

J'ai pu assister ce soit à la projection en avant-première d'un film consacré par Vincent Bataillon au Quatuor à cordes d'Henri Dutilleux, interprété par le Quatuor Rosamonde. Je vous renvoie à la filmographie de Vincent Bataillon sur IMDB: il suffit de dire ici qu'il a pratiqué le violoncelle dans sa folle jeunesse et réalisé moult captations de concerts, festivals et opéras.

Comme nous le rappelle Xavier Gagnepain, violoncelliste du quatuor Rosamunde, avant la projection, le quatuor Ainsi laNuit, écrit en 1976 pour les Juilliard, a connu un succès immédiat et durable car depuis cette date il a été enregistré plus de 25 fois au disque. Tout en s'inscrivant dans une certaine tradition française (l'héritage debussyste étant revendiqué sans ambages par Dutilleux lui-même), c'est une oeuvre très personnelle. Mystère, poésie, profondeur, clarté: on est bien en peine d'arriver à exprimer avec de simples mots les émotions subtiles et profondes que ce quatuor suscite en nous. Parvenue au bout de son sac à mots, la violoniste Agnès Sulem conclut simplement par "et puis il y a ... l'inexprimable".

Faute de parler de l'inexprimable, j'évoquerai plus simplement le travail de la caméra, qui nous invite dans le jardin de Monsieur Dutilleux au bord de la Loire, et nous fait partager l'intimité des musiciens tout en restant infiniment respectueuse. Ainsi que le travail admirable des Rosamonde qui ont peaufiné leur interprétation pendant des années, ciselé chaque phrase avec une patience de bénédictins.

Ce film d'une heure à peine mérite certainement d'être vu et contribuera sans doute à inviter davantage de personnes dans l'univers de Dutilleux, dont il faut écouter la musique bien plus d'une fois pour l'apprécier vraiment. C'est aussi un témoignage très émouvant de la relation du compositeur et des interprètes. Il devrait être diffusé dans les mois qui viennent sur la télévision publique et en DVD. J'en retiens pour ma part une petite phrase d'Henri Dutilleux: "les oeuvres que je regrette le moins sont celles où j'ai pris le plus de risques". Prendre des risques signifie pour le compositeur chercher à aller au-delà de ce que l'on sait déjà faire. Rétrospectivement, ce qui est certain est qu'il n'y a pas grand-chose à regretter dans une oeuvre telle que'Ainsi la nuit.

lundi 25 juillet 2011

L'alto par Frédéric Lainé

Récemment publié par Frédéric Lainé dans collection Mnémosis Instruments chez Anne Fuzeau, un ouvrage consacré à l'alto, et intitulé comme de juste: L'alto. Un ouvrage dont les ambitions sont assez vastes puisqu'il veut parler de la lutherie, des interprètes, du répertoire soliste (concertos, sonates) et pédagogique (études, méthodes) depuis 1600 environ (date de l'apparition des premières violes à bras ou viola di braccio) à nos jours.

l_alto_frederic_laine.jpgPour ne pas se perdre dans un propos si vaste, Frédéric Lainé choisi un découpage chronologique d'abord (l'époque baroque 1600-1750, l'émergence 1750-1830, l'alto romantique 1830-1870, vers la reconnaissance 1870-1918, vers l'autonomie de 1918 à nos jours), thématique ensuite. Chaque partie qui couvre une cinquantaine de page est donc divisée en tranches consacrées à la lutherie, au répertoire pour orchestre, à la musique de chambre, aux interprètes, etc. Le tout complété par un Glossaire, une Bibliographie et un Index.

Vous l'aurez déjà compris, il s'agit là d'un ouvrage très sérieux et complet issu d'un travail documentaire approfondi. Un livre qui m'a indiscutablement permis d'apprendre des choses sur l'instrument que je pratique depuis la naissance ou presque. Depuis la mode des petits altos au XIXe siècle (qui a poussé certains luthiers à raccourcir de très beaux instruments anciens... à la scie !) jusqu'aux anecdotes croustillantes sur la vie sexuelle de Chrétien Urhan ou la commande ratée de Paganini à Berlioz (Harold en Italie), rien n'est oublié ou si peu.

Pour autant, mes réserves ne manquent pas à propos de cet ouvrage. Le découpage chronologique conduit à apporter une importance exagérée aux périodes où l'alto était considéré au mieux comme un violon de troisième classe c'est à dire en gros depuis la fin de la polyphonie à cinq voix (dont trois voix d'alto) à la façon de Lully jusqu'au début du vingtième siècle. Si j'écrivais un jour un histoire de l'alto, je survolerais rapidement les 18e et 19e siècles et consacrerais la majeure partie de l'ouvrage à l'alto de Hindemith à nos jours. Un travail déjà entamé du reste car j'ai consacré une dizaine de billets dans ce Journal à des pièces pour alto seul du 20e siècle que j'aime bien (dernier billet en date: Souvenirs trémaësques .. de Heinz Holliger). On sent chez Frédéric Lainé une certaine frustration à parler de l'alto au 18e et 19e siècles alors que cet instrument était tellement méprisé, ce que de grands musiciens et grands orchestrateurs comme Berlioz ou Wagner regrettaient, conscients du potentiel expressif de l'instrument. Mais plutôt que passer son temps à pleurnicher sur le peu de reconnaissance (et de répertoire) pour l'alto il y a 200 ans, pourquoi ne pas parler plus longuement de la gloire éclatante que lui confèrent interprètes de génie et compositeurs passionnants de nos jours ?

Une autre réserve concerne le style. Frédéric Lainé a voulu écrire un ouvrage de référence, pas un roman. On comprend donc que le propos en soit moins libre et le style moins outré que par exemple D. Hildebrand dans son roman du piano. Mais le plaisir à lire Hildebrand tient justement au fait que c'est écrit par un mélomane qui se fiche comme une guigne d'être exhaustif dans la chronologie ou précis dans les références, mais cherche uniquement à communiquer sa passion pour un instrument, quitte à en explorer les recoins obscurs et à user fréquemment du sarcasme pour en épuiser la substance. Le style de F. Lainé est clair et fluide, mais il manque singulièrement de fantaisie et souvent d'humour. Concernant l'histoire de l'alto qui est véritablement le vilain petit canard de la famille des cordes, on aurait préféré endurer quelques couacs que de s'endormir toutes les dix pages, malgré la richesse du contenu. De l'audace !

Dernier point, on peut très bien défendre le fait qu'un ouvrage de ce type n'a pas vocation à être lu de la première à la dernière page comme un roman, mais plutôt conservé dans la bibliothèque et consulté de temps à autre; mais dans ce cas adopter un autre plan aurait été plus judicieux. Pourquoi ne pas dresser par exemple des tableaux récapitulatifs avec toutes les sonates pour alto et piano, tous les concertos, toutes les études, etc ? Et pourquoi ne pas traiter de sujets comme la place de l'alto dans l'orchestre symphonique dans une seule chapitre plutôt que dans 6 sous-chapitres de chaque chapitre chronologique ? Et de même pour l'évolution de la pédagogie ? On comprend bien l'intention de l'auteur de vouloir traiter tous ces sujets simultanément pour saisir l'évolution de l'alto sous tous ses aspects; mais n'ayant pas su choisir entre un récit chronologique, qui exige une plume assez solide et une certaine liberté dans l'agencement des sujets, et une présentation exhaustive, sous forme de tableaux ou de dictionnaire, Frédéric Lainé a tenté une forme hybride qui s'avère peu efficace alors même que le fond est assez riche. C'est pour cette dernière raison que Le Journal de Papageno recommande ce bouquin, bien qu'il  ne le lise pas comme un roman et qu'on ne s'y retrouve pas aussi facilement que dans un guide ou un dictionnaire.

jeudi 7 juillet 2011

Michaël Levinas reçu à l'Académie des Beaux-Arts

Michaël Levinas a été récemment reçu à l'Académie des Beaux Arts le 15 juin dernier. Le pianiste et compositeur, fils du célèbre philosophe, prend la place du très regretté et très attachant Jean-Louis Florentz. C'est un musicien pour qui j'ai une grande admiration, un de ceux qui ont apporté la preuve éclatante que pour être un bon compositeur, il n'est pas nécessaire d'être un médiocre interprète, et réciproquement.

Michael_Levinas_2.jpgPour plus de détails, je vous renvoie au compte-rendu de la cérémonie sur le blog de Jean-Claude Ledoux, ainsi qu'au discours prononcé par Michaël Levinas. Si Claude Ledoux estime que Levinas nous a envoûté une fois de plus par la beauté de son langage fleuri, j'apprécie plutôt en le lisant le style simple et direct, sans emphase, sans jargon prétentieux. Levinas parle très clairement de la musique des 30 dernières années (au moins d'une partie d'entre elle, qui gravite autour du courant spectral), des débats qui l'ont agité, des questions qui se sont posées à Florentz comme à lui-même. Que faire après la musique sérielle ? Qu'apportent les progrès de l'acoustique et de ce qu'on appelle aujourd'hui l'informatique musicale à la création artistique ? Ce n'est qu'à la fin que le discours ce fait plus lyrique, dans une fort belle conclusion sur le merveilleux que je ne résiste pas au plaisir de citer intégralement:

Comme Messiaen et comme moi-même, Florentz croyait au merveilleux en musique.

Merveilleux comme la rencontre et comme l’éblouissement amoureux.

C’est l’exigence de l’extraordinaire en art, du transcendant.
Vous avez rappelé, François-Bernard Mâche, le nom d’Emmanuel Levinas, mon père.

Extraordinaire, c’était son terme pour évoquer le souffle qui inspire les livres ; extraordinaire disait-il aussi pour évoquer la personnalité de Chouchani. Mon père s’exprimait ainsi pour parler de l’exception de certains de nos Maîtres, certains de mes maîtres en particulier : Lazare Levy, madame Marguerite Long, Olivier Messiaen, Xenakis ou encore Ligeti.

Extraordinaire ou merveilleux. Cela m’a marqué pour toujours.

J’appelle cela la recherche de la clef du merveilleux, le poétique, ou bien encore la révélation du buisson ardent.


L’idée musicale serait cette révélation presque surnaturelle qui transcende l’oeuvre.

Un bouleversement beethovenien, une rature de l’écrit, une bifurcation harmonique et linguistique inattendue chez Verlaine et Fauré, une polymodalité sur le thème se Dieu dans les Vingt Regards d’Olivier Messiaen.

Frisson de la découverte. Trouvaille ! « C’est trouvé » dit Dutilleux quand apparaît l’idée musicale ; une idée qui surgit hors du système, du prévisible, du convenu, un au-delà de la forme, un miracle, un frisson nouveau.

J’attends chaque jour ce miracle de la création musicale.

dimanche 12 juin 2011

Entrée en eau

Entrée en eau est le titre d'un poème d'Aurélie Loiseleur, tiré de son dernier livre Entrées en Matière. anonymous-tushita-meditation-drop-9917203.jpgC'est ce poème, lu par son auteure que j'ai choisi comme point de départ pour ma toute première pièce de musique électroacoustique. On y trouve bien sûr des bruits d'eau; pluie, cascades, gouttes, mais aussi quelques sons de piano, qui ont été retravaillés pour s'harmoniser avec les gouttes. Avec les bruits d'eau on dispose d'une palette assez riche où l'on des sons harmoniques comme les gouttes aussi bien que la cascade qui se rapproche du bruit blanc (saturation de toutes les fréquences) et tous les intermédiaires. Au-delà de l'aspect technique - enregistrer, nettoyer, filtrer, mixer les sons - l'une des difficultés est de dépasser l'aspect anecdotique ou descriptif des sons pour leur donner une qualité, une présence, une signification, un rythme véritablement musicaux. Pas sûr que j'ai vraiment réussi dans cette pièce qui ne me satisfait qu'à moitié. Elle possède néanmoins le grand avantage de durer 2 minutes seulement, et de se terminer donc avant qu'on en soit lassé.

Quoi qu'il en soit, voici Entrée en eau, récité par Aurélie Loiseleur, musique de votre serviteur:

Fichier audio intégré

mercredi 8 juin 2011

Quatre créations et une avant-première à Liège

Quatre de mes oeuvres récentes seront bientôt créées au Conservatoire de Liège, dans le cadre des auditions de fin d'année de la classe de composition:

  • Mercredi 15 juin, 20h à l'Espace Pousseur, aura lieu la première audition de Tu fais trop de bruit..., une scène de théâtre musical pour soprano, violon, clarinette, marimba, trombone et acteur muet, sur un texte d'Aurélie Loiseleur. Avec Lydie Szymaszek, Laurence Mary, Rudy Mathey, Alexis Bourdon, Jean-François Cosentino.
  • Vendredi 24 juin, 20h à l'Espace Pousseur, on pourra entendre, pas forcément dans cet ordre-là:
  1. Entrée en eau, unepièce de musique acousmatique sur un texte d'Aurélie Loiseleur
  2. Érotique pour piano, clarinette et alto, une pièce qui vient compléter le cycle des mes Poèmes d'après Yourcenar, avec Tomonori Takeda (clarinette) et PIerre Vanlinthout (piano)
  3. Contemplation du vide, pour alto et électronique. Cette pièce est destinée à devenir une section d'une oeuvre plus vaste qui portera le titre de 13.2 Milliards d'Années-Lumière, dont je reparlerai dans ce journal.

Par ailleurs le jury pourra entendre en avant-première Centaures, mélodie pour voix et piano sur un texte de Marguerite Yourcenar, enregistré par L'Oiseleur des Longchamps (baryton) et Mary Olivon (piano) pour un disque "Chevauchées Lyriques" qui sera dans les bacs d'ici à la fin de l'année.

Sur ce je vous laisse, j'ai des concerts à préparer...

samedi 28 mai 2011

Le Spectre de la Rose de Berlioz en vidéo

Après la partition et le podcast Radio France c'est maintenant une vidéo qui est disponible en ligne de la réduction pour voix, piano, violon et violoncelle des Nuits d’Été de Berlioz. Il n'y a pas de mal à se faire du bien. Voici donc Le Spectre de la Rose avec Hugues Borsarello (violon), Aya Okuyama (piano),  Pejman Memarzadeh (violoncelle), L’Oiseleur des Longchamps (baryton):

Beethoven par L'Oiseleur des Longchamps (7 juin 2011, Paris)

Le mardi 7 juin 2011 à 20h, L'Oiseleur des Longchmaps chantera Beethoven (Folk Songs, Lieder) accompagné par Aya Okuyama sur un authentique pianoforte Broadwood de 1815. C'est à Paris, au temple protestant du Luxembourg, 58 rue Madame. Le programme comporte également une Sonate pour violoncelle et piano ainsi que la Sérénade pour flûte, violoncelle et piano (avec Louise Audubert et Marc Zuili).

J'ai pu échanger il y a quelques semaines avec Aya Okuyama au sujet des pianoforte qui sont une véritable passion pour elle. Avec un piano ancien, m'a-t-elle expliqué, on est obligé de vraiment chercher le son, d'aller au bout des ressources de l'instrument, et l'équilibre avec les chanteurs ou les instrumentistes qu'on accompagne se fait beaucoup plus naturellement. Avec un piano de concert moderne, on est contraint en revanche de sous-utiliser l'instrument car ces grands pianos sont conçus pour jouer des concertos (post-)romantiques dans des salles de deux mille places et rivaliser avec de grands orchestre plutôt que pour la musique de chambre et la mélodie.

Broadwood-Square-Piano-ca-1815.jpg

L'acoustique vient d'ailleurs confirmer cette intuition. Les marteaux des pianos modernes sont en feutre, et leur dureté dépend de la force de l'attaque: si l'on joue très fort ils attaquent plus franchement la corde, ce qui modifie non seulement le volume mais aussi et surtout le timbre qui devient plus riche dans la partie aigüe du spectre, c'est à dire plus brillant, plus agressif, un peu plus inharmonique également. Si un pianiste adapte son toucher pour accompagner un chanteur dans une petite salle, il restera toujours dans les attaques assez douces, qui produisent un son plus "rond", plus sourd. Avec un instrument moins puissant, et a fortiori avec un pianoforte équipé de marteaux en cuir et non en feutre, il est possible d'obtenir des sons plus brillants, plus timbrés sans pour autant passer au-dessus de la partie vocale. On pourrait encore discuter de beaucoup de points techniques, comme la table d'harmonie, le cadre en métal, les cordes croisées, mais en deux mots comme en cent, en musique, lorsque le son change, tout change.


jeudi 26 mai 2011

La musique classique c'est de la merde

Les jeunes ne s'intéressent pas à la musique classique. Surtout ceux des banlieues, ou plutôt des « quartiers populaires » comme dirait cette bourgeoise de Martine Aubry. C'est devenu un lieu commun et même un cliché, validé par de nombreuses études sociologiques depuis Bourdieu au moins. On ne compte pas non plus les initiatives « pédagogiques » menées par les orchestres, les mairies, ou les lycées afin d'inculquer le classique à nos jeunes. Lesquels résistent vaillamment à tant d'assauts et continuent d'écouter la musique de leur génération. Ce qui inspire de tristes articles à de tristes intellectuels déplorant que les jeunes refusent ainsi de s'adapter au classique. Car adapter le classique aux jeunes, il ne saurait en être question. C'est parfaitement impossible : par définition le classique c'est ce qui ne change pas.

Je voulais faire au départ un article sur tous les lieux communs liés à la musique classique pour les démonter gentiment, mais en avançant dans la rédaction, je me suis rendu compte avec horreur puis avec amusement que tous ces lieux communs sont parfaitement véridiques et que la vérité est encore pire que cela. Il suffit d'ouvrir les yeux :

  • « Le classique c'est une musique de vieux ». Bmamie.jpgien sûr ! Il suffit de regarder le public du Théâtre des Champs-Élysées ou de la Folles Journée de Nantes pour s'en persuader. Mais pourquoi ? C'est tout simple : en vieillissant l'oreille baisse. La musique devient progressivement moins riche en couleurs (à cause des fréquence aigües). Dans ces conditions il est beaucoup plus confortable de ré-écouter la musique qu'on connaît déjà, car la mémoire reconstitue ce qu'on n'entend plus que partiellement. Et puis le classique c'est assez prévisible, c'est toujours la même chose : tonique, dominante, ré-exposition, cadence, coda, saluts, applaudissements, taxi, une camomille et puis au lit ! Alors que tout fout le camp, tout se détraque ma bonne dame, les jeunes ne respectent plus rien, le rituel immuable bien rôdé du concert classique est rassurant. Plus on vieillit, moins on entend bien, et plus on apprécie Vivaldi sur instruments d'époque.

  • « La musique classique est bourgeoise » La musique classique est un marqueur de la classe dominante, c'est un fait bien documenté. Une seule preuve ? Les questions sur la musique classique à l'épreuve de culture générale de l'ENA, dont le seul but est d'empêcher les fils d'ouvriers en bâtiment et les zy-va à casquette de devenir préfet, inspecteur général des finances ou administrateur d'un groupe du CAC40. La musique classique est tellement subventionnée que ça c'est pas vraiment le prix des concerts qui fait la différence (les places pour la tournée d'adieu de Johnny étaient à 120€, pour ce prix là on a des place de choix dans la plus chic des salles parisiennes), mais vraiment l'habitus au sens bourdieusien, c'est à dire tout ces petits détails qui distinguent ceux qui jouent au golf de ceux qui jouent au basket. Encore une preuve ? Les musiciens d'un concert classique sont habillés comme les serveurs dans les restaurant chics. À votre avis, pourquoi ?

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(photo : Albert Dupontel dans « Fauteuils d'orchestre »)

  • «  La musique préférée des con(formiste)s » À quoi servent les « discothèque idéale, le top 100 de Radio Classique, les petites étoiles, les « ffff » et les « choc » de Classica ou Télérama ? A rien d'autre qu'à formater les cerveaux. L'amateur de classique est obsédé par les classements et la hiérarchie. S'il écoute un pianiste, il faut que ça soit un « tout grand » ou « une étoile qui monte » ; il vante un chef comme étant « de classe mondiale », un violoniste comme « tu sais, le 1er prix du Long-Thibaut en 2006 ». Le prêt-à-penser lui est donc extrêmement utile : il ne veut écouter que l'interprétation « de référence » des plus grands « chefs-d’œuvre » des « meilleurs » compositeurs.

  • « Garanti avec beaucoup de conservateurs » robot-violinist.jpgOn l'a déjà dit, le bourgeois c'est comme le cochon, plus ça devient vieux, plus devient amateur de classique. Mais le conservatisme n'est pas que la tendance politique dominante dans le public : c'est aussi une maladie qui touche les artistes eux-mêmes dans leur cœur de leur travail. Il y a la formation très standardisée à laquelle on les soumet alors qu'ils sont trop jeunes pour avoir développé une véritable personnalité. Il y a le respect maniaque de la partition qui atteint une dimension fétichiste et idolâtre (on oublie ainsi que la partition n'est qu'un medium fort imparfait et incomplet de communication entre le compositeur et les interprètes, qui repose sur beaucoup de conventions non écrites). Il y a les versions discographiques « de référence » auxquels ils seront comparés qu'ils ne veuillent ou non. Il y a le programme des concours internationaux où l'on retrouve toujours les même 4 ou 5 concertos pour violon, et qui semblent destinés, ces concours, à produire des clones plutôt que des artistes. Il y a les agents et les directeurs de salle qui préfèrent ce qui se vend bien, c'est à dire les œuvres les plus connues et rebattues du répertoire. En bref, depuis l'école de musique première année jusqu'à la scène de la philharmonie de Vienne, c'est lavage de cerveau à tous les étages !

  • « Plus coincé que moi, tu meurs! » Depuis des temps immémoriaux, la musique est associée à la danse. Jouez quelques notes devant des enfants de 3 ou 4 ans, ils vont se lever et danser (ça marche aussi bien avec Chopin qu'avec les Beatles). Faut-il vraiment qu'ils aient vieilli dans leur corps et dans leur tête pour accepter d'écouter de la musique 2 heures de suite dans un fauteuil ! Dans un concert de rock/pop/techno, on peut crier, chanter, mettre la main au fesse des filles, bref se donner du bon temps. Mais les amateurs de musique classique ont un balai dans le cul, ça fait peine à voir. A les voir tous s'emmerder poliment lors d'un récital de piano salle Gaveau, impassibles dans l'épreuve comme Bernadette Chirac à un défilé du 14 juillet, on aurait presque pitié d'eux (mais lisez plus bas et vous n'éprouverez plus aucune pitié !).bernadette_chirac.jpg

  • « Le choix des pervers psychopathes ». Les lecteurs du Journal de Papageno qui sont tellement cultivés, ont certainement vu la trilogie du Silence des agneaux. Or, quelle musique écoute le docteur Hannibal Lecter , pervers psychopathe manipulateur et anthropophage, avant de vous découper en morceaux pour faire cuire vos rognons au madère ? De la musique classique bien sûr !! Dans le prologue d'Hannibal il pousse le vice jusqu'à servir les meilleurs morceaux d'un flûtiste arythmique aux membres du comité de soutien de l'orchestre philharmonique de Boston. Si votre voisin écoute trop de musique classique, soyez méfiants !

  • « Danse avec les morts » boite-musique-anniversaire-4.jpgUn bon compositeur est un compositeur mort, c'est tout à fait inutile de revenir là-dessus. Mais la calcification de la musique classique va bien plus loin que ça : l'industrie du disque et le fétichisme du top 100 conduisent de plus en plus les interprètes disparus (Maria Callas, Glenn Gould, …) à charmer nos oreilles. Certains proposent même de recréer le « toucher » des pianistes disparus d'après leurs enregistrements, pour programmer une sorte de piano mécanique, afin produire des « concerts » de zombies avec Rubinstein, Gilels, Cziffra... Amis nécrophiles, bonsoir !

Vous l'aurez compris, s'il y a une chose qui met d'accord les notaires de province, les pervers psychorigides et les gérontologues d'accord, c'est bien celle-ci : la musique classique est une musique d'avenir.

Mais assailli d'un doute après avoir tenté en vain de réfuter mes arguments (qui sont encore plus inattaquables que la vertu de DSK), vous vous demanderez peut-être : « au fond, suis-je un de ces coincés du classique qui traumatisent leur entourage avec leur passion malsaine pour la musique nécrosée ? » Nous avons mis au point un test de dépistage simple pour vous aider à voir clair. Si vous avez au moins deux étoiles dans le quizz suivant :

(*) vous avez 500 disques de classique et pas un seul de jazz ou de variétoche

(*) vous avez un abonnement à l'opéra et un autre à Pleyel

(*) le mot « contemporaine » déclenche chez vous une réaction automatique sous la forme d'une phrase où figurent les mots « Boulez » et « caca »

(*) vous pensez comme l'idiot congénital qui avait commenté un précédent billet à la radio que la querelle des Anciens et des Modernes se résume aujourd'hui au débat sur les archets convexes ou concaves et les cordes en boyau ou en métal pour jouer les symphonies de Beethoven

(*) vous croyez sincèrement que Ton Koopman et Nathalie Dessay sont des stars mondialement connues

(*) vous n'écoutez plus Radio Classique depuis qu'ils passent de la musique de film

(*) vous trouvez le début du quatuor « Dissonances » de Mozart... dissonant

Alors les symptômes ne trompent pas : vous souffrez de classiquite aigüe à tendance psycho-rigide et la nécrose intellectuelle menace. Afin de soulager votre entourage qui souffre certainement de votre intolérance compulsive et violente envers toute musique tant soit peu actuelle, des mesures radicales s'imposent :

  • Bazardez votre discothèque (les disques c'est un truc de vieux de toute façon, et un truc fétichiste en plus)

  • Arrêtez de lire Le Figaro (surtout les pages culcul-ture)

  • Achetez une guitare électrique à votre gosse au lieu de l'emmerder avec des leçons de piano et de solfège au Conservatoire (endroit où l'on conserve les momies de l'histoire de la musique).

  • Ré-apprenez à bouger en rythme avec la zique

  • Intéressez vous pour la première fois de votre vie à la différence à l'oreille entre le tango et la salsa ; le rap et la R&B ; la techno et le heavy metal...

  • Pour vous détendre après le boulot, écoutez des trucs qui déchirent vraiment comme la Sonate n°6 pour piano de Galina Oustvolskaïa ou le Helikopter-Streichkartett de Stockhausen (liste non exhaustive, tant s'en faut).

  • Suivez scrupuleusement le rythme du régime Dukon (R) :

    • sevrage : pendant 45 jours, n'écoutez pas une seule note de musique écrite il y a plus de 20 ans ; favorisez la musique électro-acoustique et mixte

    • transition (90 jours): musique du XXe siècle autorisée (Rachmaninoff et Piazzola toujours interdits)

    • stabilisation : retour à musique ancienne en respectant un régime sain et équilibré avec cinq compositeurs vivants par jour (le fameux five-a-day)

    • dans tous les cas, la musique de Lady Gaga est à éviter absolument (risque d'intoxication putassière élevée)

(Rendons à César ce qui est à César: le titre de ce billet a été fortement inspiré par l'excellent le rock c'est de la merde publié sur le non moins excellent MusicLodge.

mercredi 18 mai 2011

Bruits, de Jacques Attali

Qu'est-ce que la musique ? Voilà une question qui pourrait embarrasser plus d'un musicien amateur ou professionnel si on la posait à brûle-pourpoint. On connaît certes la définition d'Edgar Varèse (« du bruit organisé ») mais celle-ci ne dit rien de l'importance de la musique dans notre vie. Pourquoi aime-t-on la musique au fond, et à quoi sert-elle ?

Dans son livre Bruits (seconde édition 2001, chez Fayard / PUF) Jacques Attali présente une définition stimulante et originale de la musique. Le bruit, comme chacun le sait, est une agression, une menace: fracas du tonnerre comme celui des armes n'annonce rien de bon. De nombreux animaux utilisent leur cri pour marquer leur territoire et éloigner les concurrents ou les prédateurs, comme le lion du Kenya, le chacal d'Arizona ou le zy-va à casquette du neuf-trois.

Or la musique nous permet de domestiquer le bruit, de l'apprivoiser : en sélectionnant soigneusement les sons produits par la voix ou les instruments, en les organisant d'une manière harmonieuse, en soudant le groupe autour de la pratique musicale (associée à la danse et à la fête depuis des temps immémoriaux), la musique prouve que la vie en société est possible. Reprenant les thèses de René Girard sur le bouc émissaire, Attali voit dans l’exécution d'une œuvre musicale (terme significatif) un meurtre symbolique commis collectivement, un sacrifice rituel destiné à souder un groupe social et à exprimer ses valeurs.

Attali_Bruits.jpg

Bruits est « un essai sur l'économie politique de la musique » depuis les origines jusqu'à l'invention du mp3 et du piratage sur Internet. Autant dire que ça n'est pas une histoire de la musique occidentale à vocation encyclopédique fourmillant de détails sur les œuvres, les hommes et les tendances : mais plutôt une promenade d'un pas alerte dans un très vaste paysage, promenade que le lecteur appréciera d'autant mieux s'il a lui-même une vaste culture. On pourrait facilement trouver des contre-exemples ou des contre-arguments aux vérités que Jacques Attali assène sous forme d'aphorismes lors de son parcours ; mais ce serait bien mesquin car l'intérêt de ce livre ne réside pas dans les détails mais dans la vision d'ensemble, ainsi que dans les connexions inattendues qu'il suscite entre des domaines souvent traités séparément : musique, politique, société, religion. S'il contient quelques idées originales et fortes (et par la même tout à fait contestables), ce livre contient plus encore d'invitations à réfléchir sur une foule de sujets.

Dans cette histoire de la musique qu'il brosse à gros traits, Attali est guidé par une thèse centrale qui organise et parfois déforme légèrement toutes ses observations. Cette thèse, la voici : la musique est prophétique. Elle anticipe et annonce les changements de la société. Ainsi par exemple l'avènement du pianoforte après la révolution française amène celui de la bourgeoisie ; le gigantisme des orchestres symphoniques au tournant des années 1910 préfigure celui de la société industrielle et des deux guerres mondiales ; l'invention du disque ouvre l'ère des objets produits en grande série ; et la dématérialisation de la musique dès 1990 est le premier signe d'une nouvelle économie de la connaissance dont le Web 2.0 et les smartphones sont des symboles.

Un autre fil rouge de ce livre est le Combat de Carnaval et Carême, un tableau de Pieter Bruegel dont une reproduction en couleurs est incluse dans un hors-texte au centre du livre. Analysant amoureusement cette toile, Jacques Attali y voit la parfaite illustration des thèses qu'il défend. Là encore on peut ne pas adhérer à tel ou tel raisonnement, mais ça ne diminue pas l'intérêt de cet essai, au contraire.

En résumé c'est un livre brillant et stimulant intellectuellement, un brin polémique, et qui devrait séduire la plupart des lecteurs du Journal de Papageno, s'ils ne l'ont pas déjà dans leur bibliothèque.

mardi 17 mai 2011

Arkheion #4 Aurélie Loiseleur Wilfrid Wendling

Une immersion complète durant 90 minutes dans l'univers d'une poète et celui d'un musicien. C'est ainsi que je serai tenté de résumer le spectacle Arkheion #4 présenté à la Maison de la Poésie de Paris par Wilfried Wendling (compositeur) et 5 poètes dont celle que j'ai pu écouter (Aurélie Loiseleur).

Dès l'entrée dans le sous-sol de la maison de la poésie, les spectateurs sont immergés dans une performance qui a déjà commencé. Ils sont invités à déambuler dans quatre salles petites et voutées, dans lesquelles jouent quatre musiciens (Irène Lecoq au violon, Cyprien Busolini à l'alto, Deborah Walker au violoncelle, Charlotte Testu à la contrebasse). Ils jouent très doucement et avec de grosses sourdines mais (comme j'allais l'apprendre en discutant avec les musiciens après le spectacle) le son est amplifié, traité en temps réel et spatialisé. La résultante sonore est quelque part entre le bruit blanc et la guitare électrique saturée, ça gratte un peu à mon goût mais c'est assez prenant. Par ailleurs des images d'archives de poètes (Apollinaire, Aragon et bien d'autres) récitant leurs textes sont projetées par courtes séquences sur les murs. Surgissant au milieu de la musique fortement bruitiste de Wendling, la voix des poètes semble avoir traversé le temps et l'espace pour parvenir jusqu'à nous. D'autres images plus abstraites (formes géométriques mouvantes en noir et blanc) sont également projetées.

arkheion_4.jpg

Après une dizaine de minutes, les spectateurs puis les musiciens rejoignent un à un la pièce principale où la poète fait son entrée. La récitation va commencer. Pour ce projet, Wilfried Wendling avait préparé une vingtaine de séquences (des « caractères ») où l'on retrouve tous les styles de l'écriture contemporaine pour cordes. On pense à Scelsi par exemple dans la séquence où les quatre instruments, sur la même note, jouent avec des micro-intervalles, des battements, des glissandi extrêmement lents. On pense à Ligeti (2e quatuor, Kammerkonzert) lorsqu'on entend des pizzicati, chaque instrument sur la même note, à des vitesses différentes. On pense à Lachenmann et à d'autres dans les passages purement bruitistes. On pense à Radulecu et aux spectraux lorsque la contrebasse émet un mi grave décoré par des harmoniques en trémolo dans le suraigu des autres cordes. Ou encore à Luigi Nono pour la pièce qu'on entendra en dernier, très dépouillée, au confins du silence. Les musiciens n'ont pas de partition : ils ont mémorisé chaque séquence (dont les éléments de base sont assez simples), ils s'écoutent, accompagnent souplement la récitante et improvisent les transitions.

La poète a pu composer son spectacle en choisissant dans ce « réservoir de propositions » ou « labyrinthe musical » les pièces exécutées avec chaque lecture, ou comme interlude entre deux lectures. Aurélie Loiseleur a également choisi de réciter un poème sans musique, et de faire revenir certains poèmes deux fois, avec une séquence musicale différente (et une manière de réciter différente également). Ses gestes sont sobres mais c'est une véritable performance d'actrice qu'elle nous offre. Par ailleurs la synthèse entre voix parlée et musique fonctionne étonnamment bien. J'avoue qu'en écoutant sur CD avant le spectacle les séquences préparées par Wilfried Wendling, tout en trouvant la diversité d'ambiances intéressante, je me demandais comment les séquences pouvaient s'enchaîner et pourquoi il n'y avait pas vraiment de variations ou de développement à l'intérieur d'une même séquence. Cependant, ces matériaux ne sont pas une composition autonome pour quatuor à cordes mais un point de départ pour l'improvisation et le dialogue avec la voix parlée. Et le résultat final est des plus convaincants : la modernité radicale de Wilfried Wendling (ça pique et ça gratte par moments) s'harmonise parfaitement avec celle des textes d'Aurélie Loiseleur (il faudra un jour que je publie dans ce journal poésie râpe, un beau texte où elle expose sa conception de la poésie dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle se situes aux antipodes des néoromantiques).

L'heure passe aussi vite qu'un clin d'oeil et une fois le dernier mot prononcé, les derniers sont éteints dans un souffle, le public reste un moment silencieux, chacun étant renvoyés à ses propres émotions, à ce que le pouvoir des mots associés à celui de la musique a pu remuer au plus profond. Sans vouloir, faute d'en être capable, rentrer dans le détail desdites émotions (que ne suis-je poète), je voudrait tout de même adresser un joli coup de chapeau aux artistes. Voilà du beau boulot !

A lire aussi: Un Fauteuil pour l'Orchestre, La Terrasse

mercredi 11 mai 2011

Petites Fanfares Célestes à la Philharmonie de Liège le 15 mai 2011

Mes Petites Fanfares Célestes seront données à la philharmonie de Liège (Belgique) dimanche prochain, 15 mai 2011, à 15 heures, dans une nouvelle orchestration pour grand ensemble de cuivres et percussions (la version originale étant pour dixtuor de cuivres: 4 trompettes, cor, 4 trombones, tuba).

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lundi 2 mai 2011

Dans la peau d'un invité d'Arièle Butaux (L'Oiseleur des Longchamps chante Berlioz et Beethoven)

Disponible à la réécoute sur le site de France Musique, l'émission Les invités d'Arièle datée du du 1er mai où L'Oiseleur des Longchamps chante Berlioz, Alagna et Beethoven.

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lundi 25 avril 2011

Du rififi à la Sorbonne

Après les orchestres de la radio néerlandaise, c'est l'Orchestre Universitaire de la Sorbonne qui est aujourd'hui menacé de disparition. Cette association qui fête cette année ses 35 ans d'existence fonctionne en partenariat avec Paris-IV Sorbonne. La participation à l'orchestre permet aux étudiants de valider des modules pour leurs diplômes de musicologie, des locaux et des heurs d'enseignement (autrement dit :des gros sous) sont mis à la disposition de Musique en Sorbonne.

musique_en_sorbonne.jpg

L'UFR de musicologie a décidé en février dernier de ne pas renouveler le partenariat, c'est à dire couper les fonds mais aussi de supprimer l'agrément qui permet aux étudiants d'intégrer l'orchestre dans leur cursus. Ce qui se cache au juste derrière cette décision n'est pas très clair, car la seule source d'information dont je dispose est la pétition qui dénonce et récuse cette décision.  Querelle de personnes, nous dit Daniel Morel dans son communiqué:

Dans un mail récent adressé à des signataires de la pétition et repris à destination de la communauté MusiSorbonne, l'UFR célèbre l'action de Jacques Grimbert et Denis Rouger sans citer une seule fois le travail accompli depuis trois ans par Johan Farjot, successeur de Jacques Grimbert à la tête du COUPS; Johan Farjot a porté la qualité de l'orchestre à un niveau jamais atteint et a fait rayonner Musique en Sorbonne par des actions nouvelles (organisation d'un Festival, organisation d'un concours "Jeunes Solistes" ouvert aux étudiants, ouverture à la musique contemporaine, …) dont la plupart sont réalisées en liaison avec l'UFR de Musicologie.

Il apparaît donc clairement que les querelles de personnes consécutives au départ de Jacques Grimbert prennent le pas sur les attentes pédagogiques des étudiants ; il s'agit de cloner le COUPS (mais avec quelle structure, quels moyens, pas un mot n'a été dit officiellement sur les personnels en poste) pour en faire un organisme sous le contrôle direct de l'UFR de Musicologie : recrutement des chefs (d'orchestre et de chœur) fait directement par l'université, comité de programmation rattaché à l’UFR qui décidera chaque année des œuvres à interpréter, ….

Les sites Qobuz et Resmusica ont repris l'info en se contentant de copier-coller le communiqué en question, on n'en saura donc pas plus. Le nœud de l'affaire est manifestement le contrôle de l'UFR de Musicologie sur l'Orchestre qu'elle finance (en partie seulement, le COUPS bénéficie d'autres recettes, comme les subventions publiques, le mécénat et la billetterie).

Quoi qu'il en soit, les justifications avancées officiellement par l'UFR pour une décision aussi grave paraissent des plus légères: "la direction de l’association « Musique en Sorbonne », sourde à nos demandes et fermée à toute concertation, n’est pas en mesure de répondre aux attentes de l’université dans ce nouveau contexte". Quelles peuvent être au juste ces attentes non satisfaites ? Il y a manifestement des raisons inavouables à cette décision. Quoi qu'il en soit le torchon brûle désormais entre musicologues et musiciens à Paris IV. Qui a dit que la musique adoucissait les mœurs ?

Aria pour hautbois et cordes

La fête de Pâques est l'occasion pour les chrétiens de célébrer leur croyance en la résurrection; pour tout le monde manger du chocolat et de profiter d'un jour de congé supplémentaire; pour les mélomanes de ré-entendre la Passion selon St Matthieu (ou bien selon Saint Jean).

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samedi 16 avril 2011

Pina, de Wim Wenders

Le dernier film de Wim Wenders est un hommage à la danseuse et chorégraphe Pina Bausch qui s'intitule tout simplement Pina. Tourné pour l'essentiel à Wuppertal, avec la troupe du Tanztheater, ce film n'est pas conçu comme un documentaire mais plutôt agencé comme une chorégraphie cinématographique. On voit bien sûr des ballets de Pina Bausch, en commençant par l'un des plus anciens, le Sacre du Printemps, en passant par le célèbre Café Müller, et en terminant par Vollmond, magnifique hymne à la jeunesse.

En voyant ces chorégraphies, ce qui me frappe soudain, c'est la similitude entre le travail du chorégraphe et celui du compositeur. A l'instar du musicien, il sculpte le temps (et ce plus encore que l'espace); et il dépend des interprètes qui vont incarner sa création, lui donner chair, sang et souffle. La rigueur toute mathématique de la composition (musicale ou chorégraphique) vient à la rencontre des corps, du vivant, pour créer la beauté et l'émotion. Peut-être est-ce plus évident chez Pina Bausch que chez d'autres chorégraphes, mais de nombreux gestes me font penser à leur équivalent musical. Ainsi lorsque huit danseurs mâles exécutent en canon la même série de gestes sur une danseuse: lui toucher le menton, lui tapoter le mollet, lui caresser l'oreille, l'étreindre par la taille pour la soulever, etc. On trouve aussi des formes de contrepoint plus libres, lorsque deux couples de danseurs, l'un à l'avant-plan, l'autre à l'arrière plan exécutent des mouvements totalement différents. Ou encore des séquences répétées en accelerando, jusqu’à la rupture et au silence...

C'est surtout une série de portraits que Wim Wenders nous proposent, ceux des danseurs de la compagnie de Wuppertal qui exécutent des solos et duos en hommage à Pina Bausch. Très peu de paroles: chacun, dans sa langue maternelle (croate, italien, coréen, allemand, français...), dit quelques phrases pour évoquer un souvenir, une anecdote, une pensée. Malgré l'économie de mots, on sent un lien affectif très fort entre Pina Bausch et ceux qui ont travaillé parfois vingt ans et plus dans sa troupe.

Ce film a également fait parler de lui comme étant le premier film en 3D qui ne soit pas un machin hollywoodien à gros budget. Certains ont jugé que la 3D n'apportait pas grand-chose, d'autres qu'elle restituait mieux l'art des danseurs qui après tout ne sont pas des êtres bi-dimensionnels et dansent dans l'espace. En fait le réalisateur nous donne lui-même son idée de la la 3D dans une des scènes du filme: deux danseurs parlent de Café Müller devant une grande boîte rectangulaire, ouverte sur un côté, où l'on voit une maquette du décor (essentiellement des tables et chaises de bistrot). Et puis on voit la maquette s'animer avec des danseurs minuscules. Voilà donc le cinéma en 3 dimensions, nous dit Wim Wenders par ce biais: c'est une boîte qui contient non des images mais la scène d'un théâtre, avec sa profondeur. L'écran blanc du cinéma prend alors la place du quatrième mur invisible qui sépare les artistes du public dans un théâtre.

Schwebebahn_ueber_Strasse.jpgL'avantage du cinéma c'est qu'il permet de sortir des murs du théâtre et de nous montrer les danseurs dans un parc public, une carrière, une usine désaffectée, devant un carrefour animé, dans une rame du Schwebebahn (métro aérien). Là encore, le message est clair même s'il reste implicite: tout peut devenir décor, l'art possède le pouvoir d'animer voire de sanctifier tout lieu où il se produit.

Les transitions d'une scène de danse à une autre, d'un portrait immobile d'un danseur à son portrait en dansant sont très soignées: ainsi on peut passer d'une scène à l'autre sans interrompre la musique. Autre technique employée par Wim Wenders, le mélange: la même chorégraphie est jouée par trois troupes de danseurs ayant les mêmes costumes, mais pas le même âge: en passant et repassant d'un groupe d'âge à un autre sans que le ballet soit interrompu, le cinéaste nous propose de méditer sur le temps bien sûr mais aussi sur la permanence d'un art vivant comme la danse. L'ensemble des scènes du film suit un plan bien précis, et certains éléments la traversent comme un fil rouge: ainsi cette procession de tous les danseurs répétant quatre gestes simples qui représentent les quatres saisons, traversant le temps et la ville, qui ouvre le bal et clôture le film.

Film d'hommage, donc, dans lequel Wim Wenders a pris soin de représenter non pas ce qui a disparu avec la mort de Pina Bausch, mais plutôt ce qui vit toujours dans son art. Film riche en émotions, où l'on trouve l'expression de certaines souffrances, mais aussi et surtout un sentiment de joie profonde et communicative.

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